PROCHE ORIENT-Gilad Halpern a été condamné, jeudi, à 21 jours de prison. Son crime : ne pas avoir répondu à l’appel de l’armée israélienne pour aller combattre à Gaza.
Le 11 août, Gilad Halpern aura 33 ans, mais il ne pourra pas rentrer
chez lui pour fêter son anniversaire. La semaine suivante, son fils
soufflera sa deuxième bougie, là non plus, Gilad ne rentrera pas. Il
sera détenu dans une prison israélienne.
Vendredi 8 août, quand je l’ai appelé sur son mobile, Gilad était en
garde à vue dans une base de l’armée au sud d’Israël. La veille, au
cours d’une audience, il a écopé de 21 jours de prison pour avoir refusé
de rejoindre son unité dans l'opération terrestre de l'armée
israélienne à Gaza. Dimanche, il s’attend à être emprisonné. Son
téléphone portable lui sera sans doute retiré. D’ici là, Gilad explique
être libre de se déplacer dans l’enceinte de la base, mais ne peut pas
quitter les lieux.
Le jeune israélien assume son choix. "Je voulais en faire une
position de principe, dire que je trouvais ça odieux", explique Gilad,
en référence à l’opération Bordure protectrice, qui a coûté la vie à
plus de 1 800 Palestiniens, selon des sources palestiniennes, et plus de
65 Israéliens, en grande majorité des soldats. "Je suis prêt à en
payer le prix. C’est un acte de solidarité modeste – tant de gens ont
souffert beaucoup plus", ajoute-t-il avec l’humilité qui le caractérise.
La première fois que j’ai rencontré Gilad, en 2011, il n’y avait
aucun doute que ce nouveau journaliste dégingandé de France 24 était un
Israélien, orienté à gauche, mais nous ne parlions pas du Moyen-Orient.
Un an plus tard, Gilad a quitté la France pour rentrer chez lui, en
Israël. Il a d’abord travaillé dans un quotidien de gauche avant de
rejoindre la rédaction d’une radio anglophone à Tel Aviv. Entre-temps,
il a eu un enfant, nous avons "liké" des messages sur nos pages Facebook
respectives et voilà tout.
De la fin du processus de paix à la seconde intifada
Gilad n’est pas étranger aux opérations israéliennes dans les
territoires palestiniens. En 1999, peu après ses 18 ans, lorsqu’a débuté
son service militaire de trois ans, il a été témoin des derniers jours
du processus de paix. À la fin de son service militaire obligatoire, la
seconde intifada était à son paroxysme et le jeune Israélien servait
dans une division blindée en Cisjordanie.
Il y a plus d’une décennie, au cours de son service militaire, Gilad croyait encore à la "cause". Dans une interview à Mediapart
publiée le 24 juillet, il expliquait : "J'étais conscient que le
traitement des Palestiniens par Israël était injuste et injustifiable,
mais j'ai cru – et je le croyais encore quelques années après la fin de
mon service [militaire] – que c'était une "pause" temporaire dans le
processus de paix. Je pensais que c'était dans l'intérêt d'Israël de
mettre fin à ce long conflit. Et je pensais que dès lors que les risques
pour la sécurité étaient terminés, on pourrait donner aux Palestiniens
leur indépendance et leurs droits."
Mais sa position a changé en 2009, quand il a été appelé en tant que
réserviste à servir pendant l’opération Plomb durci de l’armée
israélienne à Gaza, au cours de laquelle 1 400 Palestiniens ont été
tués, selon un bilan officiel palestinien. Trois civils et dix soldats
étaient morts côté israélien. "J’étais vraiment horrifié par ce qui
semblait être une opération d’une brutalité exceptionnelle, qui a fait
des ravages dans la bande de Gaza", m’explique Gilad.
"J’en suis venu à la conclusion, en 2009, que je n’étais pas prêt à
défendre une politique israélienne qui consistait à attaquer Gaza tous
les deux ans. Le conflit actuel n'est pas du tout nécessaire. Le
gouvernement israélien a eu plusieurs fois l’occasion d'apaiser les
tensions avec le Hamas. Je ne suis plus disposé à mettre mon nom sur des
solutions brutales qui peuvent facilement être évitées et je vais le
refuser."
Depuis le début de l’opération Bordure protectrice, le 8 juillet,
Israël a appelé 86 000 réservistes au fur et à mesure qu'approchait
l'offensive terrestre. Alors que le soutien de l’opinion publique
israélienne à l’opération à Gaza allait croissant, un certain nombre de
campagnes d’objection de conscience ont été lancées, dont une pétition d’anciens soldats qui ont refusé de servir comme réservistes.
Arrêté à l’aéroport
Le 17 Juillet, quand Gilad a été appelé à la mobilisation, il a
consacré plusieurs jours à passer des appels téléphoniques pour
expliquer aux différents responsables militaires qu'il n'avait pas
l'intention de rejoindre ses quartiers. On lui a finalement donné un
ultimatum de 12 heures pour rejoindre son unité ou son cas serait
transféré à la police militaire. Gilad a pris place à bord d'un vol pour
les Pays-Bas, quittant Israël un jour avant que des compagnies
aériennes internationales suspendent brièvement leurs vols à destination
de Tel Aviv. "Nous avions prévu des vacances la semaine suivante, mais
j’ai pris l'avion pour les Pays-Bas seul. Ma famille m'a rejoint plus
tard", explique-t-il.
C'est à son retour à la maison - avec sa famille –, mercredi 6 août,
que Gilad a été arrêté à l'aéroport international Ben Gourion de
Tel-Aviv et emmené dans une base militaire au sud d'Israël, où il a fait
face à un tribunal militaire. "J'ai dit au [militaire présidant] qu'il
s'agissait d'un acte de principe de refuser de participer au combat et
que c'était une décision qui n'avait pas été facile parce que j'avais
servi dans l'armée par le passé", explique-t-il.
Par sa décision, Gilad est devenu un "refuznik", comme on appelle les
objecteurs de conscience en Israël. Malgré le rôle central de l'armée
en tant qu’institution qui défend et unit Israël, le pays a déjà connu
plusieurs mouvements de refuzniks. Ces dernières années, à la suite de
la droitisation de la politique et l'opinion publique israéliennes, la
dénonciation des refuzniks a augmenté à mesure qu’Israël se retrouvait
de plus en plus isolé sur la scène internationale.
Gilad assure cependant que sa famille et ses amis ont accueilli très
positivement sa décision – notamment sa femme pourtant issue d'une
grande famille de militaires. Un message faussement jovial posté sur
Facebook – "L’été en prison" – a suscité des commentaires tels que : "Oh
non ! Je suis fier d'être ton ami" et "Très courageux de ta part Gilad.
Je soutiens ton action". Mais en dehors du cercle restreint de la
famille et des amis Facebook, les objecteurs de conscience sont
confrontés à la colère d'une société militarisée peu conciliante avec
les réfractaires.
À la base militaire où les soldats s’affairent, Halpern a tout
simplement dit qu'il avait été AWOL ("absent sans permission
officielle") sans révéler les raisons politiques de sa décision. "Les
gens qui font le même choix que moi sont souvent considérés comme des
gens qui s’identifient à l’ennemi – il y a eu une résurgence du discours
nationaliste", explique Gilad. "Je ne souhaite pas lancer un débat
politique qui me mettrait dans une position inconfortable ici."
Avec du recul sur ces dernières semaines, Gilad note qu'il aurait pu
gérer les choses différemment. "J'aurais pu trouver des excuses –
d’autres l’ont fait avant", dit-il. "Mais je voulais en faire une
question de principe. Je ne le regrette pas. Je n’en pouvais plus. Nous
devons avoir une position assez radicale et nous devons faire quelque
chose. En allant en prison, je fais quelque chose. Maintenant, je vais
être en mesure d'en parler - non seulement comme un Israélien, mais
comme quelqu'un qui a payé le prix pour cela."
Adapté de l'anglais par Steven Jambot