UKRAINE-(Třídní Válka) Lorsque nous avons écrit il y a un quelques mois dans notre texte
« Préparatifs de guerre entre l’Ukraine et la Russie – Show ou
réalité ? »i
que les conditions d’une nouvelle guerre mûrissaient en Ukraine,
beaucoup de camarades ont exprimé des doutes ou même des désaccords avec
une telle affirmation catégorique. Maintenant nous pouvons affirmer que
le conflit en Ukraine a clairement permuté de la phase « froide » à la
phase « chaude » et que ce à quoi nous assistons actuellement dans l’est
du pays, c’est la guerre sous toutes ses définitions. De Lougansk à la
frontière avec la Russie jusque Marioupol sur la côte de la mer Noire,
ce sont deux forces militaires qui se mesurent dans des affrontements
quotidiens en essayant d’étendre la zone sous leur contrôle, ils se
battent au sol ainsi que dans les airs, à la campagne ainsi que dans les
centres industriels, l’artillerie fait pleuvoir des obus sur des
villages, l’aviation bombarde des villes (sous le prétexte que leurs
ennemis utilisent les habitants comme boucliers humains), des hommes,
des femmes, des enfants meurent sous les bombes et les missiles… En
quatre mois de conflit armé, plus de 2.000 civils et militaires sont
morts et 6.000 autres ont été blessés ; 117.000 prolétaires ont été
déplacés dans le pays et 730.000 autres ont trouvé refuge en Russie. Au
moment de boucler cet article, les cadavres jonchent les rues de
Donetsk, pris dans l’étau de l’offensive gouvernementale.
Dans le même texte, nous avons aussi écrit que la seule réponse du
prolétariat à la guerre, c’est d’organiser et de développer le
défaitisme révolutionnaire, c.-à-d. de refuser dans la pratique de
rejoindre l’un ou l’autre camp, mais au contraire d’établir des liens
entre prolétaires des deux côtés du conflit à travers la lutte contre
les deux bourgeoisies. Et même sur ce terrain, les choses se sont
développées, notre texte mérite dès lors (trois mois après sa
publication) un post-scriptum.
Ce texte est basé sur des informations puisées à différentes
sources (que nous citons en notes), des blogs militants comme des média
officiels. Cette courte description des événements en Ukraine nous a
demandé des heures d’un travail prudent, de collecte d’informations, de
lecture de textes, de vision de vidéos, de comparaison de différentes
données, etc. Nous voudrions souligner deux choses : primo, le fait que
les événements que nous décrivons ici ne furent pas couverts par France
Télévision ou Euronews ne signifie pas qu’ils n’ont pas eu lieu, que
nous les ayons inventés (diverses sources gauchistes mais aussi les
média ukrainiens et russes les ont décrits). Secundo, il est clair que
les informations que nous avons obtenues d’Ukraine sont chaotiques,
incomplètes et parfois contradictoires. Cependant, cela ne signifie pas
que nous devrions abandonner notre tentative de saisir ce qui se passe
là-bas. Nous sommes persuadés que nous devons opposer aux informations
sélectives de l’État la position critique et radicale du mouvement
anticapitaliste ; nous devons développer et partager les informations et
les analyses qui comprennent le monde à travers le prisme de la
perspective de le révolutionner.
L’idéologie guerrière (qu’elle soit basée sur la défense d’un état
national uni ou sur le droit à l’autodétermination des sympathisants
pro-russes) plonge ses racines en Ukraine, les organisations de la
société civile organisent des campagnes de collecte de fonds pour
supporter l’armée, les popes bénissent les armes d’un camp ou de
l’autre, et la télévision diffuse des scènes de babouchkas qui
fournissent aux hommes armés leur dernier pot de compote. Tous les
prolétaires cependant ne se soumettent pas au lavage de cerveau de la
propagande guerrière provenant de l’un ou de l’autre camp, pas tous ne
veulent se sacrifier « pour leur patrie ». Des expressions du refus
pratique des massacres guerriers apparaissent toujours plus fréquemment
et les deux camps du conflit ont de grandes difficultés pour recruter de
nouveaux effectifs pour leur massacre mutuel.
Des milliers de soldats de l’armée ukrainienne, que le gouvernement a
envoyé dans les soi-disant opérations antiterroristes dans l’est du
pays, ont déserté ou changé de camp avec tout leur matériel, y compris
des tanks et des véhicules blindés. A titre d’exemple, la 25ème
brigade aéroportée ukrainienne (troupe d’élite par excellence), dont
les hommes sont accusés « d’avoir fait preuve de lâcheté » lors des
combats à Kramatorsk, sera dissoute sur instruction présidentielle le 17
avril après avoir fait part de son refus de « combattre d’autres
Ukrainiens ».ii
Tout récemment, ce sont 400 soldats d’une même unité qui ont déserté et
se sont réfugiés du côté russe de la frontière après s’être retrouvés
sous un feu nourri et sans munitions. Ces soldats qui seront, comme la
Russie l’a déjà annoncé, extradés vers le territoire ukrainien, ont
déclaré qu’ils préfèrent être accusés de désertion plutôt que de
continuer à tuer et être tués sur le front oriental. Tous ces déserteurs
déclarent qu’ils ne veulent pas se battre contre « leur propre peuple »
et ils dénoncent aussi leurs conditions de vie désespérées auxquelles
ils doivent faire face dans l’armée – solde minable, nourriture
dégueulasse, ou même manque de nourriture, etc. D’autres unités n’ont
même pas été déployées dans l’est pour leur manque de fiabilité. De la
même façon que le précédent président Ianoukovitch ne put les utiliser
pour réprimer les manifestants, pas plus l’actuel gouvernement n’ose
envoyer au combat des troupes connues pour leur loyauté minimale.
Environ un millier de soldats d’unités de la région de Volhynia se sont mutinés à Mykolayiv le 29 mai. Les soldats du 3ème bataillon de la 51ème
brigade ont refusé d’être envoyés au front, ils ont refusé les ordres
de leurs supérieurs et ils ont commencé à décharger leurs équipements
lourds et d’autres matériels déjà prêts pour le transport. Après que
leur unité ait subit de lourdes pertes lors d’une confrontation avec les
séparatistes près du village de Volnovakha, on leur avait promis de
retourner dans leur casernement permanent à Rivne. Au lieu de cela, ils
furent déplacés de l’est vers le sud, puis retour à la case départ, de
telle sorte qu’on put finalement leur annoncer qu’ils vont continuer
leur entrainement avant d’être renvoyés au front. « Ayant perdu toute
confiance dans leurs généraux à la lumière des derniers événements à
Volnovakha et durant les funérailles à Rivne, ainsi qu’à cause de la
trahison de leurs généraux, les soldats ont entamé une rébellion
ouverte. »iii
Le 2ème bataillon de la 51ème brigade, qui se trouvait dans la caserne de Rivne au même moment et qui fut le témoin des funérailles des soldats du 3ème
bataillon tués dans la fusillade de Volnovakha ainsi que de la
direction chaotique et mensongère des opérations, ce bataillon se mutina
également. « Les généraux nous disaient ‘allez au nord’ puis ‘allez au
sud’ au point que les soldats sont prêts à leur tirer dessus. Les
généraux ont commencé à porter des gilets pare-balles de peur des
fragging ! »iv
Environ 1.200 soldats ont participé à la mutinerie, ils ont refusé
d’être transférés à Mykolayiv. « Ils nous ont promis, lorsqu’ils nous
ont mobilisé, que nous garderions la frontière entre l’Ukraine et la
Biélorussie. Nous sommes prêts à le faire, mais pas à foncer sur ces
clowns du Donbass. »v
Une rébellion semblable a aussi éclaté à Poltava.
Quatre jours plus tôt, après que six soldats originaires de la région
de Volhynia ne soient tués, des mères, des femmes et des parents de
soldats de la 51ème brigade ont bloqué les routes dans la
région de Volhinya pour protester contre la poursuite du déploiement de
l’unité dans le Donbass.vi
Des manifestations et des protestations organisées par des femmes et
d’autres parents de conscrits demandant le retour à la maison des
soldats ou essayant de bloquer leur départ au front se sont étendues
pendant ce temps à autres régions de l’Ukraine (Bucovine, Lviv, Kherson,
Melitopol, Volhynia, etc.). Les familles des soldats bloquaient les
routes avec des arbres abattus dans la région de Lviv au début de juin.vii Une manifestation de parents a bloqué l’entrée du bureau de recrutement militaire à Lviv quelques jours plus tard.viii A Iavorivo (région de Lviv), des membres d’une famille ont occupé un terrain d’exercice de la 24ème brigade mécanisée et ils ont exigé la suppression du départ vers la ligne de front.ix
Des manifestations de parents à Dnipropetrovsk et Kharkov ont exigé le
retour des soldats dans les casernes de leurs régions natales.x
Des femmes de Kharkov ont occupé l’aéroport militaire local. Le bureau
de recrutement militaire local à Kherson a été occupé par des mères et
des femmes de soldats. Elles ont appelé à la fin de la guerre avec des
slogans comme : « Femmes contre la guerre », « Où les fils des
oligarques font-ils leur service ? » ou « Nos enfants ne sont pas de la
chair à canon ».xi
A Tchernivtsi, des femmes ont bloqué l’autoroute vers Jitomir pour
plusieurs jours et elles ont réclamé le retour à la maison des soldats.xii
Le 24 juin, des parents ont établi un barrage au kilomètre 125 de
l’autoroute Kiev–Tchop, ils portaient des bannières disant : « Ramenez
nos enfants, envoyez à l’est les enfants de généraux. »xiii Le 8 juin, un groupe de 100 parents de soldats ont bloqué les troupes de la 3033ème
unité militaire basée à Melitopol, dans la région de Zaporojie. La
protestation a réussi à empêcher les soldats d’être envoyés au front.
Les parents impliqués dans le mouvement de contestation ont aussi
protesté contre la propagande étatique qui les décrit comme des
« séparatistes prorusses » : « Hier les nouvelles ont dit que ‘des
séparatistes prorusses ont organisé un blocus de l’unité militaire’.
Mais il n’y avait aucune mention de la Russie à la porte d’entrée de
l’unité militaire ! Nous ne voulons juste pas perdre nos soutiens de
famille. (…). Donetsk est un massacre, et nos enfants ont 20-21 ans. (…)
Vous nous voyez, nous sommes des mères ! Comment pouvez-vous nous
appeler des séparatistes ? », déclarait une des participantes.xiv
Des mères et des femmes de soldats ont protesté contre leur envoi au
front en face de la base militaire de Ternopil le 15 juillet.xv
Et ce n’est pas la première fois que les familles de soldats
s’affrontent à une action militaire. Pendant la période dont le résultat
fut finalement la chute du précédent président Ianoukovitch, des
parents et d’autres personnes ont organisé des réunions devant les
casernes, ils ont discuté avec les soldats afin de leur apporter des
informations sur ce qui se passait vraiment dans les rues et pour les
persuader de refuser de participer à une répression potentielle contre
les manifestants.
Pendant ce temps, de nouveaux hommes continuent d’être enrôlés dans
l’armée. Même s’ils doivent être recrutés sur la base d’une carte
militaire obligatoire, le gouvernement les fait passer pour des
volontaires. « Nous ne sommes pas des volontaires (…) nous ne voulons
pas tuer des gens (…) nous n’irons pas n’importe où, nous enlèverons nos
uniformes et nous rentrerons chez nous », ont proclamé des conscrits
lors d’un rassemblement de protestation à Lviv.xvi
Après l’entrée en vigueur du décret présidentiel de Porochenko à
propos de la troisième vague de mobilisation dans les forces militaires
le 24 juillet, dont la conséquence est l’envoi de davantage de milliers
de prolétaires au front, des troubles ont éclaté dans différents
endroits en Ukraine de l’ouest avec une force accrue : dans le village
de Voloka, toute la population a résisté à la conscription de 50 hommes.
« Ils ont commencé, qu’ils résolvent eux-mêmes (leurs problèmes). Nous
mourrons mais nous ne donnerons pas nos enfants. Ils doivent le
comprendre et ne pas venir ici avec leurs ordres de mobilisation »,
déclarent un vieux manifestant.xvii
Des parents de soldats ont bloqué une route près du village de Korovia
le 25 juillet exigeant la fin de la mobilisation et que les fils des
autorités publiques soient envoyés au front à leur place.xviii
Le même jour, une route dans le district d’Oboukhivs’kyi, près de Kiev,
fut également bloquée par des familles de soldats. Les blocages
continuaient de plus belle le 28 juillet dans au moins sept villages
dans la région de la Bucovine et l’autoroute Kiev-Tchop fut également
bloquée, une fois de plus. Lors d’une manifestation anti-guerre en face
d’un bureau de recrutement à Novoselytsa, des protestataires ont molesté
un membre du conseil municipal qui essayait de leur parler.xix
Des habitants de plusieurs villages de la région d’Ivano-Frankivsk sont
entrés de force dans les bureaux de l’administration militaire locale
le 22 juillet et ont allumé un feu de joie avec les ordres de
mobilisation et d’autres documents concernant la mobilisation. La même
chose eu lieu le même jour à Bogorodchany.xx Dans différent villages, les gens ont massivement brûlé leurs documents de conscription distribués par la poste.xxi
A Moukatchevo, en Transcarpathie, la situation s’est aggravée à tel
point que le commandement militaire local qui s’inquiétait de la
continuation des protestations a, pour l’instant, suspendu la
mobilisation et a promis qu’aucun des habitants du coin ne sera envoyé
au front dans un futur proche.xxii
D’autres mobilisations militantes contre la guerre ont encore eu lieu
dans la région de Zaporojie le 4 août ainsi que devant le parlement à
Kiev le lendemain.xxiii
Kiev qui ne peut actuellement compter qu’à peine sur son armée
régulière dépend par conséquent des armées privées de quelques
oligarques et de la Garde Nationale, une milice de volontaires
principalement formée de nationalistes du Pravyi Sektor (Secteur droit)
et du parti Svoboda (Liberté) pendant le mouvement de protestation
contre Ianoukovitch. Les nouvelles unités de la Garde Nationale ne sont
pas spécialement formées pour les actions militaires, mais
principalement pour réprimer les protestations de masse et les émeutes,
comme cela a été révélé lors de leur parade à Kiev à la fin de juin.
D’ailleurs, des centaines de fascistes de l’Assemblée
National-socialiste et les Patriotes Ukrainiens avaient déjà attaqué en
juin une manifestation contre l’opération anti-terroriste qui avait lieu
à Kiev.
Néanmoins, les membres de la Garde Nationale ne sont pas non plus en
dehors des contradictions qui secouent les deux camps. Radio Europe
Libre a récemment publié une vidéoxxiv
qui montre un soldat de la Garde Nationale qui reproche au gouvernement
de n’être pas capable de fournir assez de nourriture, d’eau et d’armes
aux volontaires : « Nous sommes utilisés comme de la chair à canon »
affirme-t-il. Les conditions matérielles rattrapent ici même ceux qui
pensent qu’ils sont idéologiquement au-dessus d’elles.
Des mercenaires provenant du monde entier se battent aussi dans le
camp de Kiev, ils ont été embauchés pour le gouvernement par des agences
privées (il s’agirait de troupes mercenaires de Pologne, de la
République tchèque, de l’ex-Yougoslavie, mais aussi de la région
d’Afrique équatoriale).
Le recrutement de nouveaux combattants n’avance pas selon le souhait
des seigneurs de guerre locaux, et dans le camp des séparatistes non
plus. La majorité des mineurs de la région du Donbass refuse toujours de
rejoindre leur camp. Au lieu de cela, ils forment des unités
d’autodéfense qui se positionnent contre les séparatistes et les troupes
du gouvernement. Une de ces unités s’est affrontée aux séparatistes et
les a empêchés de faire sauter une mine dans le village de Makiivka. A
Krasnodon, dans la région de Lougansk, les mineurs ont organisé en mai
une grève générale et ils ont pris le contrôle de la ville. Ils ont
ouvertement refusé de se joindre tant au camp des séparatistes
« anti-Maïdan » à Lougansk que le camp des oligarques du Maïdan à Kiev,
et ils ont plutôt exigé l’augmentation de leurs salaires ainsi que
l’arrêt de l’embauche de main-d’œuvre pour la mine par des agences
privées.xxv
Les mineurs de six mines dans le bassin du Donbass ont déclenché une
grève à la fin du mois de mai pour demander la fin de l’opération
anti-terroriste dans l’est du pays et le retrait des troupes.xxvi
Leur action fut le résultat de leur propre initiative et n’a pas été
imposée en aucune façon par des hommes armés de la République Populaire
de Donetsk, d’après certains médias. Selon les grévistes, la guerre
représente un danger pour l’existence même des mines et provoque le
chômage. « Le lundi 26 mai, lorsque l’armée ukrainienne a commencé le
bombardement des villes, les mineurs ne sont tout simplement pas
retournés au boulot, parce que le ‘facteur externe’ des hostilités,
ayant lieu presque au pas de leur porte, a sérieusement augmenté le
risque d’accidents du travail dans leur entreprise. Par exemple, si
jamais une bombe avait frappé la sous-station électrique, les mineurs
auraient été pris au piège sous terre, ce qui aurait inévitablement
signifié pour eux la mort. »xxvii
La grève fut déclenchée par quelque 150 mineurs de la mine Oktiabrski
et elle s’est étendue comme une réaction en chaîne à d’autres fosses de
Donetsk (Skochinskiy, Abakumov, « Trudovskaya », etc.), mais aussi à des
mines d’autres villes, en particulier Ougledar (« Yuzhnodonbasskaya
n°3 »). Dans les mines dont le propriétaire est Rinat Achmetov, l’homme
le plus riche d’Ukraine et qui possède un empire industriel contrôlant
économiquement presque toute la partie orientale du pays, les
travailleurs ont été forcés de continuer à travailler, ils ont continué à
descendre dans la fosse, malgré le bombardement du voisinage proche. A
l’initiative des mineurs de la mine Oktiabrski également (et à nouveau
sans aucun soutien de la République Populaire de Donetsk), une
manifestation anti-guerre de plusieurs milliers de participants a été
organisée le 28 mai.xxviii
Le 18 juin, plusieurs milliers de mineurs ont à nouveau manifesté dans
le centre de Donetsk pour la fin immédiate des opérations militaires.
Les participants ont fait valoir qu’ils ne sont pas séparatistes, mais
des gens ordinaires du Donbass. Ils ont également déclaré que si le
gouvernement de Kiev ne répondait pas à leurs revendications, ils
prendraient les armes.
Les séparatistes ainsi que les oligarques locaux pro-Kiev tentent de
manipuler et d’interpréter ces assemblées chaotiques et contradictoires
en fonction de leurs propres intérêts. Rinat Achmetov, l’oligarque de
Donetsk, a donc organisé sa propre « grève » pour l’Ukraine unie, les
séparatistes pour leur part essayent de faire passer les manifestations
de mineurs comme une expression d’une position pro-russe des
travailleurs du Donbass.
Malgré les consignes nationalistes ou séparatistes qui apparaissent
dans les manifestations de mineurs, les travailleurs ne sont pas très
désireux de rejoindre la Milice Populaire du Donbass. Un des commandants
séparatistes, Igor Girkin, s’est récemment plaint en public de ce que
les populations locales prennent les armes de son arsenal, mais au lieu
de se mettre au service des milices séparatistes, ils les ramènent chez
eux pour protéger leurs familles et leurs villages contre les deux camps
du conflit.xxix
Les séparatistes continuent donc de compter sur les gangs criminels
locaux qui (après avoir été payés) leur ont permis de prendre le
contrôle de bâtiments publics, de postes de police, de dépôts d’armes,
de grandes artères et de moyens de communication dans la région de
Donetsk et de Lougansk. La majorité des forces séparatistes est
néanmoins faite de mercenaires provenant de l’autre côté de la frontière
(russe), en particulier les anciens combattants des guerres en
Tchétchénie.
Si le mouvement anti-guerre réel, le mouvement du défaitisme
révolutionnaire, veut réussir, il doit devenir non seulement massif et
généralisé, mais il doit aussi s’organiser, se structurer. Nous n’avons
que peu d’informations sur les structures organisationnelles du
mouvement en Ukraine. Nous pouvons conclure à l’existence de certaines
structures à partir des événements eux-mêmes (des manifestations ou des
grèves répétées de plusieurs milliers de personnes ne peuvent pas être
le résultat d’une explosion spontanée de colère, de la même façon que
les protestations des parents de soldats, comme nous les avons décrites
ci-dessus, exigent un certain niveau de coordination, une collaboration
organisée sur le plan du contenu et de la pratique), l’existence
d’autres structures formelles ou informelles est confirmée par des
informations incomplètes que nous avons obtenues sur le terrain.
Certaines associations déjà existantes se sont transformées en cadres de
centralisation des activités anti-guerre – par exemple la Communauté
des parents de la région de Donetsk « Kroha »xxx,
qui a publié un appel à la population le 10 juin, tout limité,
contradictoire et pacifiste qu’il puisse être : « Nous, les parents de
la région de Donetsk, en appelons à vous, politiciens, personnalités
publiques et personnes intéressées. Aidez-nous à sauver les gens de
Slaviansk, Krasnyi Liman, Kramatorsk, arrêtez les opérations militaires.
Nous avons besoin de votre aide pour faire comprendre la vérité sur ce
qui se passe dans ces villes. Depuis plusieurs semaines, les gens vivent
sous les tirs d’artillerie incessants. Les civils meurent constamment.
Certains enfants ont été blessés, la mort de trois enfants est
confirmée. Des maisons, des hôpitaux, des crèches et des écoles sont en
train de s’effondrer. Les gens, y compris des enfants, vivent dans un
état permanent de stress, en se cachant dans les sous-sols pendant
plusieurs heures des attaques qui ne s’arrêtent presque jamais. (…) Nous
demandons votre aide pour sauver la vie de ces personnes et pour
l’arrêt des actions militaires. »xxxi
Une autre association, les Mères du Donbass, affirme dans sa
déclaration : « Nous voulons juste vivre ! Nous, des gens ordinaires :
maris et femmes, parents et enfants, frères et sœurs. Nous, des civils
pacifiques, nous sommes les otages du conflit dans notre région, les
victimes des affrontements militaires. Nous sommes fatigués de la peur
et aspirons à la paix. Nous voulons vivre dans nos maisons, marcher dans
les rues de nos villes, travailler dans les entreprises et
organisations de notre région, et cultiver notre terre. (…) Nous, les
mères du Donbass, nous insistons pour que soit mis un terme immédiat à
l’opération anti-terroriste et aux actions militaires dans notre
région ! (…) Nous sommes sûres que le conflit dans notre pays peut être
résolu pacifiquement ! Arrêtez la guerre ! Évitez le décès des enfants !
Sauvez le peuple du Donbass ! »xxxii
La Voix d’Odessa a organisé une manifestation contre la guerre le 13
juillet à Odessa. Les participants criaient des slogans comme « Nous
sommes contre la guerre ! », « Arrêtez l’opération antiterroriste à
l’Est ! » ou « Nous voulons la paix ! » Pendant cette flash-mob,
d’effrayants enregistrements audio de tirs d’artillerie et d’impact sur
des civils étaient diffusés.xxxiii
A Kharkov, des associations anti-guerre locales (entre autre le
Mouvement des Femmes de Kharkov « Kharkivianka ») ont organisé le 20
juin une manifestation en face de l’usine de chars VA Malyshev. Cette
usine a reçu une commande de 400 véhicules blindés pour être envoyés au
front. Les manifestants ont exigé l’annulation de la commande et ont
scandé des slogans comme « Non à la guerre » ou « Arrêtez le massacre
insensé ! »xxxiv
Pendant ce temps, la situation économique et sociale dans toute
l’Ukraine s’empire. La dévaluation de la monnaie locale, l’augmentation
des prix des produits de base, des transports et des services ainsi que
la réduction de la production dans de nombreuses entreprises conduisent à
une forte baisse des salaires réels estimés entre 30 et 50% de perte.
Le gouvernement de Kiev, sous la pression des institutions financières
internationales, doit adopter une série de mesures d’austérité qui va
encore aggraver les conditions de vie du prolétariat, et dans le même
temps, il prépare la plus grande vague de privatisation depuis 20 ans.
Le gouvernement central a cessé depuis mai le paiement des salaires des
employés de l’État, des prestations sociales et des pensions dans les
territoires qui ne sont pas sous son contrôle, des milliers de
travailleurs sont donc sans revenus. La situation dans les régions où
des opérations militaires ont lieu est encore pire – les fournitures
d’électricité et d’eau sont interrompues, les médicaments et la
nourriture sont rares.
Des troubles sociaux précipités par cette situation apparaissent
depuis un certain temps. Outre les grèves de mineurs dans la partie
orientale du pays, les prolétaires dans les régions de l’ouest
commencent aussi à en avoir assez. Les mineurs de Krivoy Rog ont entamé
une grève illimitée générale en mai exigeant le doublement de leurs
salaires. Ils ont commencé à organiser des milices armées d’autodéfense.
Dans leur déclaration adressée aux travailleurs de toute l’Europe, ils
décrivent les oligarques russes et ukrainiens, dans quelque camp qu’ils
soient (séparatiste ou celui de Kiev), comme la raison principale de la
crise : « Nous nous adressons à vous en vous demandant de soutenir notre
lutte contre les oligarques, qui ont provoqué la crise actuelle en
Ukraine et qui continuent à la déstabiliser davantage, menaçant de
provoquer une guerre fratricide en Ukraine qui sans aucun doute aura des
conséquences catastrophiques pour toute l’Europe. »xxxv
Plusieurs manifestations pour « des conditions de vie décentes »,
contre l’augmentation des prix et pour l’augmentation des salaires et
des pensions ont eu lieu dans différentes villes dans tout le pays. (Une
série d’actions contre l’augmentation des prix des logements et des
tarifs des services publics ont eu lieu à Kiev à la fin de juin et en
juillet. Le 1er juillet, une manifestation contre
l’augmentation des prix s’est déroulée à Kharkov. La plus importante
protestation pour le moment a eu lieu à Kiev le 24 juillet avec des
slogans comme « Réduisez les revenus des oligarques, pas ceux du
peuple » et « Ne volez pas les citoyens ordinaires ».)xxxvi
Début août, le dernier carré de résistants qui continuaient d’occuper
la place Maïdan à Kiev (« parce que rien n’a changé ! ») est attaqué
par deux bataillons de la Garde Nationale dans le but de les évacuer.
Ils agissent sur ordre du nouveau maire de Kiev, Vitali Klitchko, ce qui
démontre une fois de plus que la parole d’un politicien bourgeois (en
début d’année, il avait demandé aux occupants de ne pas évacuer la place
« tant qu’aucun véritable changement n’ait lieu en Ukraine ») n’engage
que ceux qui y croient… De violents affrontements ont néanmoins éclaté
lors de l’évacuation, ce dont la presse bourgeoise internationale s’est
une fois de plus bien abstenu d’évoquer, tant il est vrai que le
gouvernement de Kiev est l’allié occidental et « l’horreur ultime » ne
peut être incarnée que par les séparatistes de l’est et la Russie.
La République Populaire de Donetsk tente de restreindre le mouvement
des mineurs qui se soucient plus de leurs intérêts matériels que de
toute idéologie, tout en jonglant entre les revendications des grévistes
à qui on avait promis la nationalisation des complexes industriels et
les intérêts des oligarques à qui on avait promis l’inviolabilité de la
propriété privée.
Le mouvement anti-guerre, même s’il est pour le moment limité tant
dans l’espace que dans le contenu, les grèves et manifestations
ouvrières organisées non pas pour une idéologie mais pour les intérêts
matériels du prolétariat dans les deux camps, tout cela confirme ce que
nous écrivions dans notre texte précédent : « (…) le déclenchement de la
guerre impérialiste (…) ne signifie pas nécessairement l’écrasement
définitif du prolétariat. En effet, historiquement, si la guerre
signifie dans le premier temps un relatif écrasement, elle peut ensuite
dialectiquement déterminer une reprise des luttes d’autant plus forte
qu’elle à mis à nu les contradictions et la brutalité immanente au
système capitaliste. »
Malgré çà, il nous est arrivé à plusieurs reprises de tomber sur de
soi-disant « révolutionnaires » qui défendent l’opération
anti-terroriste, parce qu’ils croient que cela permettra un retour à la
lutte de classe « normale ». Malgré çà, nous pouvons lire (même si de
manière fragmentaire et contradictoire) des nouvelles à propos
d’« anarchistes » actifs dans des structures administratives des
séparatistes, parce qu’ils les considèrent comme un moindre mal en
comparaison avec le gouvernement de Kiev.
Nous ne soutenons en aucune façon la guerre et ses atrocités et nous
sommes conscients que tout conflit militaire signifie l’aggravation des
conditions de vie des prolétaires. Cependant, en tant que communistes,
nous ne pouvons pas adopter la thèse selon laquelle nous pourrions
éviter un conflit militaire en soutenant l’un ou l’autre camp guerrier.
Le prolétariat n’a aucun intérêt à préserver les conditions actuelles ou
antérieures de sa misère. Le prolétariat n’a pas de patrie à défendre.
Le camp du prolétariat dans toute guerre, c’est l’action unie et
intransigeante des prolétaires des deux camps qui se font concurrence
contre les deux camps guerriers de la bourgeoisie.
La lutte contre la guerre signifie le défaitisme révolutionnaire !
Front prolétarien révolutionnaire contre la bourgeoisie des deux camps
guerriers !
Affrontons la guerre par l’action directe, le sabotage, la grève générale, radicale et combative !
Solidarité de classe avec les défaitistes révolutionnaires de tous les camps !
* Août 2014 *
i http://www.autistici.org/tridnivalka/preparatifs-guerriers-entre-lukraine-et-la-russie-show-ou-realite/
ii http://www.thedailybeast.com/articles/2014/04/17/the-ukrainian-army-is-crumbling-before-putin.html
iv Idem.
v Idem.
vi http://www.volynpost.com/news/33715-vijskovi-z-51-oi-brygady-vlashtuvaly-na-mykolaivschyni-bunt via http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/05/29/volhynia-soldiers-mutiny-and-refuse-to-go-to-the-donbas/
vii http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/06/02/soldiers-relatives-protests-spreading-in-ukraine/
viii http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/06/04/soldiers-relatives-block-military-recruitment-office-in-lviv/
ix Idem.
x Idem.
xi http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/06/11/kherson-soldiers-relatives-picket-military-enlistment-office/
xii http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/06/19/chernivtsi-soldiers-relatives-block-highway-demand-soldiers-brought-back-from-the-east/
xiii http://112.ua/obshchestvo/pod-zhitomirom-semi-voennosluzhaschih-perekryli-dorogu-kyjev-chop-79161.html
xiv http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/06/10/soldiers-relatives-block-troops-in-melitopol-from-being-sent-to-the-front/
xvi http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/06/04/soldiers-relatives-block-military-recruitment-office-in-lviv/
xvii http://www.aitrus.info/node/3875/ via http://libcom.org/forums/news/protests-ukraine-02122013?page=11#comment-541714
xviii Idem.
xx http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/07/25/riot-in-western-ukraine-against-army-mobilization/
xxi Idem.
xxii http://www.aitrus.info/node/3875/ via http://libcom.org/forums/news/protests-ukraine-02122013?page=11#comment-541714
xxiii http://www.youtube.com/embed/G2qm3_c2O-8 et http://www.youtube.com/embed/fiRqdLi6fk0 via http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/08/06/protests-against-the-war-in-zaporizhia-and-kyiv/
xxvii http://liva.com.ua/miners-war.html via http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/05/30/donetsk-miners-strike-against-war-eyewitness-account/
xxix http://observerukraine.net/2014/05/27/petro-poroshenko-the-chocalate-king-walks-onto-a-sticky-wicket/
xxxi http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/06/13/mothers-and-parents-organisations-appeal-stop-the-war-save-the-people-of-donbass/
xxxii http://brend-archer.livejournal.com/324036.html via http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/06/13/mothers-and-parents-organisations-appeal-stop-the-war-save-the-people-of-donbass/
xxxiv http://ukraineantifascistsolidarity.wordpress.com/2014/06/20/kharkov-tank-factory-rally-against-the-anti-terrorist-operation/