Nous présentons ici un texte, premier d'une série à venir concernant les luttes des classes en Iran, initialement rédigé par un groupe révolutionnaire allemand, Wildcat. Nous sommes globalement en accord avec l'essentiel du texte, les divergences portant sur les catégorisations sociales qui ne sont pas issues du marxisme, comme l'emploi du terme "classes moyennes" par les auteurs, catégorisation issue de la sociologie bourgeoise, définie principalement selon une échelle de capacité de consommation, et non, au sens marxiste comme position de classe au sein des rapports de production capitalistes. Nous étions cependant en accord avec ce texte lors de sa publication en 2010, et notamment sur sa conclusion dialectique affirmant "si derrière la vague verte ne se prépare pas une vague de cols bleus, qui serait, elle, beaucoup plus forte."
IRAN - (
Wildcat - trad. Echanges)
La rente pétrolière
L’histoire du « capitalisme iranien » commence avec
le mouvement constitutionnaliste de 1906 (1), contemporain de la
révolution russe de 1905, qui a suivi les premières recherches de
pétrole par les Anglais à partir de 1901. Le développement capitaliste
de l’Iran est, donc, dès ses origines, lié au pétrole sur le marché
mondial. Depuis les années 1960, surtout depuis la « révolution
blanche » de 1963 (2), l’Iran est un pays capitaliste moderne, bien
qu’il dépende en partie de ses exportations de matières premières. Le
boom pétrolier (et l’explosion des prix du pétrole après 1973 et 2005) a
permis au régime en place de s’engager à fond sur la voie d’une
dictature du développement ; le secteur public de l’économie est à peu
près aussi important que le secteur privé : les statistiques iraniennes
font état d’environ 20,47 millions d’actifs, pour une population de 73
millions, dont 5,48 millions dans le privé et 5 millions d’« employés
d’Etat », qui vont du Pasdaran (3) jusqu’à l’employé de l’industrie
automobile publique, auxquels s’ajoutent 1,53 million d’« employeurs »
et 7,36 millions d’indépendants (4). Le développement et l’énorme
appareil d’Etat sont financés tous les deux par la rente pétrolière. La
plus-value produite par les travailleurs dans d’autres régions du monde,
notamment dans les pays importateurs de pétrole, incombent en partie à
l’exportation du pétrole par l’Etat iranien. C’est ce mélange entre
dépendance et développement forcé qui, dans les années 1970, avait
conduit à la grave crise économique qui allait déboucher sur la
révolution de 1979, et le gouvernement d’Ahmadinejad se heurte
actuellement au même problème structurel.
La crise
La hausse des revenus du pétrole a provoqué, entre 2005 et 2008, un
triplement de la masse monétaire et une poussée inflationniste de 10,4 %
à 25,4 %. Le régime a cherché à en amoindrir les effets par des
facilités de crédit et des subventions, mais, malgré cela, la pauvreté
et la crise du logement se sont accrus. La chute du prix du pétrole de
148 à 40 dollars le baril, à l’été 2008, a creusé de larges trous : il
manque 25 à 30 milliards de dollars au budget de l’Etat pour 2009, et 6
milliards de dollars doivent être récoltés afin de pouvoir payer les
salaires et traitements des fonctionnaires d’Etat. L’Iran a besoin de
crédits mais a de grosses difficultés à en obtenir, en partie à cause de
la crise mondiale. L’inflation ne cesse de croître (depuis le début de
cette année, les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 40 %), la
production industrielle se contracte. Au printemps 2009, les chômeurs
étaient officiellement 2,7 millions, mais on compte comme « actif »
toute personne ayant travaillé ne serait-ce qu’une heure dans les jours
précédents l’enquête ; d’où il ressort que les chiffres réels du chômage
sont beaucoup plus élevés.
Une période de sécheresse, qui persiste depuis 2008, est venue
s’ajouter à la baisse des revenus du pétrole. L’arrêt de centrales
hydrauliques a créé des goulots d’étranglement dans la distribution
d’électricité mais, surtout, la production agricole a dramatiquement
reculé, un tiers de la superficie des terres cultivables devant être
irrigué. Cela faisait seulement quatre ans que l’Iran était parvenu à ne
plus dépendre des importations de froment ; en 2008, il dut en importer
à nouveau 4 millions de tonnes. Avant l’éclatement de la crise
actuelle, l’Etat devait déjà prélever 4,5 millions de dollars sur le
fonds de devises mis en place par Khatami (5), dit « fonds pour
l’avenir », afin d’importer les moyens de subsistances qui manquaient.
En été 2008, le budget pour l’importation d’essence était épuisé et
le gouvernement a dû à nouveau prélever des dollars rapportés par la
vente du pétrole pour importer de l’essence.