Luc Michel, figure mal connue de l’extrême droite belge, conseille le président Pierre Nkurunziza et l’incite à ne pas dialoguer avec l’opposition.
Le cortège officiel roule dans la poussière en direction d’un stade
entouré d’hommes armés : ce 2 mai, c’est la Fête du travail au Burundi,
et le président Pierre Nkurunziza va s’adresser à la nation. Dans
l’enceinte, les diplomates étrangers applaudissent poliment, les
autorités locales un peu plus fort. A quelques mètres du chef de l’Etat,
un Blanc à lunettes est tout sourire. Quinquagénaire, crâne rasé, vêtu
de noir, l’homme est accompagné par une jeune femme qui filme la
cérémonie. Le discours terminé, voilà qu’il enchaîne les photos
souvenirs avec les cadres du Conseil national pour la défense de la
démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au
pouvoir depuis 2005.
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Nazi-bolchévick (NazBol) |
Surprenant pour les observateurs, ce petit manège n’est qu’un épisode
parmi d’autres du séjour burundais de Luc Michel, citoyen belge et hôte
du pouvoir local. Tout juste un an après le début de la crise ouverte
par la candidature du président à un troisième mandat, au
printemps 2015, Luc Michel a été convié à neuf jours de vadrouille à
travers le pays. Neuf jours durant lesquels ce militant radical,
prophète autoproclamé du «national-bolchévisme», a joué les consultants auprès du régime, et a fait la promotion de celui-ci dans les médias et auprès de la population. «Je
suis quelqu’un de controversé, je n’ai pas l’habitude de vendre de
l’eau tiède : je vends de l’eau glacée ou de l’eau brûlante», a-t-il déclaré lors d’une réunion publique à Bujumbura, entre deux éloges d’un «panafricanisme» dont
Pierre Nkurunziza serait le nouveau champion. Rebelote fin juillet,
cette fois à Québec, où Luc Michel a accompagné Willy Nyamitwe, frère du
ministre des Affaires étrangères et maître de la communication
officielle du régime, à une conférence sur «les vrais enjeux de la crise au Burundi».
«National-bolchévisme»
«Comme le dit Luc Michel, tous les ennuis du pays viennent du Rwanda et de l’Occident», s’enthousiasme
le patron d’un petit hôtel de Ngozi, fief du président dans le nord du
Burundi, reconnaissant toutefois qu’il ne connaissait rien du personnage
quelques jours auparavant. Et pour cause : non seulement il n’était
jamais venu dans ce paysavant cette visite, mais de plus, le curriculum
vitæ du «géostratège», présenté par la communication
burundaise, reste extrêmement flou. Présent sur plusieurs sites internet
(en plus du sien), Luc Michel, né en 1958, se dit «géopoliticien» sans citer de titre qui pourrait le prouver, s’affirme «juriste» sans
qu’on sache dans quelle école il a étudié, ou encore auteur d’un livre
sur la Libye, non référencé. Du côté de l’opposition burundaise, on
dénonce en cet homme un «néonazi» venu encourager le régime dans sa féroce répression.
Mais d’où sort donc cet improbable faire-valoir ? Même en Belgique,
ils sont peu nombreux à connaître le parcours baroque de ce personnage
d’extrême droite, reconverti avocat providentiel de régimes en déroute. «Il est pratiquement impossible de faire un topo sur Luc Michel, reconnaît Jean-Yves Camus, spécialiste des droites radicales. Au fond, on ne sait pas vraiment qui il est.»
Le journaliste belge Manuel Abramowicz est cependant familier du personnage. «Luc Michel est originaire de Charleroi, une cité minière en déclin, raconte-t-il. Il a commencé son parcours politique dans les années 70, parmi la mouvance nationaliste révolutionnaire», une
branche radicale de l’extrême droite. L’homme est devenu ensuite
disciple du Belge Jean Thiriart, collaborateur pendant la Seconde Guerre
mondiale, issu du socialisme, qui a ensuite théorisé le «national-bolchévisme». Cet ambitieux projet veut opposer aux superpuissances américaine et chinoise un «empire européen» autarcique, jacobin et non aligné. En 1984, Luc Michel fonde le Parti communautaire national-européen (PCN), partisan d’une «grande Europe de Vladivostok à Reykjavík, du Québec au Sahara». Vomissant «l’anticivilisation yankee», ce parti rejette officiellement le racisme au profit d’un discours révolutionnaire et tiers-mondiste.
En dépit de ses grandes ambitions, le mouvement ne dépassera jamais
le stade groupusculaire, pas plus que Luc Michel ne deviendra le nouveau
Thiriart. «Humainement, c’est un mec un peu fêlé et d’une hallucinante mégalomanie, qui s’est fait des ennemis partout», témoigne un homme qui est passé par la mouvance national-révolutionnaire. «Je me suis dit qu’on était un peu chez les fous», raconte un ancien membre du PCN, qui a participé en 2005 à l’université d’été du mouvement : «On s’est retrouvés dans une sorte de village de vacances en Wallonie, à 30 ou 40, dont un certain nombre de Libyens.» Car
en parallèle, Luc Michel s’est fait agent d’influence : politiquement
proche des régimes autoritaires arabes, il a entretenu des contacts en
Syrie et dans l’Irak de Saddam Hussein, avant de se mettre au service de
la Libye kadhafienne. «A l’époque, dès que les Libyens trouvaient quelqu’un capable de rouler pour eux, ils l’arrosaient», raconte un ancien de la mouvance PCN. Contacté par Libération, Luc Michel se targue d’avoir présidé «le réseau paneuropéen des Comités révolutionnaires libyens». Sur
le Net, la seule trace de son séjour est un photomontage le montrant
avec le Kadhafi à l’arrière-plan. Depuis 2006, le Belge dirige Eode, un
organisme chargé de superviser des élections dans des Etats à la
démocratie douteuse. «A la demande de ces pays ou de leur Parlement», précise Luc Michel, citant les scrutins en Moldavie ou, plus récemment, le référendum ayant rattaché la Crimée à la Russie.
Paranoïa renforcée
Ces derniers temps, enfin, le personnage a renoué avec l’Afrique :
partisan de l’unité du continent, comme autrefois d’un grand empire
européen, il s’entretient régulièrement avec des dirigeants sur Afrique
Média, une chaîne de télévision créée au Cameroun. «Je suis devenu une référence pour le public, se vante-t-il. Alors quand je soutiens un gouvernement, ça a de l’influence. Moi qui suis les "révolutions de couleur" [série de soulèvements populaires en Eurasie et au Moyen-Orient dans les années 2000, ndlr] depuis le début, j’ai tout de suite vu que c’est le même modèle qui se répète au Burundi, d’où mon soutien à Nkurunziza.» Pour le Belge, le président burundais est l’un de ces leaders africains «persécutés par le néocolonialisme» et même par le milliardaire George Soros, «un cache-nez du gouvernement américain».
Ce soutien ne pouvait pas échapper à un régime au pied du mur : il a
valu à Luc Michel une invitation à découvrir le pays - un voyage appuyé
par Willy Nyamitwe, le chef de la communication, en particulier sur les
réseaux sociaux. «Je suis arrivé à un moment où le gouvernement manquait d’arguments, alors ils ont pris les miens», affirme Luc Michel. Sur place, il participe avec le Président aux «travaux communautaires», dans
lesquels les autorités appellent la population à construire les
édifices publics ou à nettoyer les routes. Cette fois-ci, ce sera pour
le nouveau stade de Ngozi. Il a d’ailleurs assisté à un match de
l’équipe personnelle de Pierre Nkurunziza, le Halleluya FC, et obtenu un
entretien filmé au palais présidentiel avec celui qui ne parle à aucun
média. Pas ingrat, le conseiller belge s’est fait, en seulement
neuf jours, une excellente image de ce pays pourtant en crise ouverte : à
Libération, il vante son «autosuffisance alimentaire», le «bon état de ses routes» et une sécurité «meilleure que ce à quoi [il s’attendait]».
Surtout, Luc Michel a martelé un message propre à renforcer la
paranoïa et la fermeture du régime burundais, incitant celui-ci à ne pas
participer au dialogue avec l’opposition organisé sous l’égide du
président tanzanien, Benjamin Mkapa - position désormais tenue par les
autorités, qui ont même déserté le dernier sommet de l’Union africaine
au Rwanda. Le leader du PNC a ensuite quitté le Burundi pour la
république démocratique du Congo, où il a affirmé son soutien au
président Joseph Kabila, dont le dernier mandat doit s’achever
en novembre. C’est ensuite en Guinée-Equatoriale que Luc Michel a fait
escale, s’y affichant partisan du régime de Teodoro Obiang Nguema
Mbasogo, au pouvoir depuis 1979.
Que gagne le gouvernement burundais à exhiber un faire-valoir aussi baroque ? «Ne pensez pas que les gens sont dupes, nuance une source proche du CNDD-FDD, le parti au pouvoir. Nous savons très bien que Luc Michel ne pèse rien en Occident. Mais c’est un Blanc, bon à exhiber dans le Burundi profond.» Si l’homme
dément avoir été rémunéré pour son déplacement, plusieurs observateurs
doutent que celui-ci ait été effectué à titre gracieux. Quoi qu’il en
soit, «il est venu pour consolider les thèses des plus dures du régime, explique
Innocent Muhozi, directeur de Télé Renaissance, média indépendant
installé au Rwanda depuis sa fermeture par le gouvernement burundais. C’est leur seul appui "intellectuel". Mais le panafricanisme ne peut pas se faire contre les vies des Africains».
Source : Libération