Dans plusieurs débats que j’ai menés récemment dans lesquels je
dénonçais toutes les formes d’impérialismes, y compris l’impérialisme
russe en Syrie et en Ukraine (sans parler de la répression Russe contre
les Tchétchènes, ainsi que le système russe autoritaire, réactionnaire
et économiquement néo libéral, avec une concentration des richesses du
pays dans une clique d’affaires mafieuses affilié à Poutine), plusieurs
personnes se revendiquant de la « gauche » m’ont répondu qu’il n’y avait
pas d’impérialisme russe ou bien que ce dernier était une puissance qui
s’opposait à l’impérialisme Etats-Unien et devait dès lors être
soutenu.
Ce genre d’analyse s’inscrit dans une compréhension complètement
faussée de l’impérialisme qui le réduit à un (Etats-Unis) ou des acteurs
(Etats occidentaux généralement).
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce raisonnement, que je n’ai pas
le temps de développer en détail mais qui s’inscrit principalement
d’abord dans une mauvaise compréhension du système capitaliste, et/ou
dans un héritage de la guerre froide, qui voit la Russie et ses alliés
(Iran et Syrie notamment) comme des Etats progressistes et
anti-impérialistes, contre les Etats-Unis.
Ce raisonnement mène à des positions hostiles dans le cas de certains
soulèvements populaires, comme c’est le cas actuellement avec la Syrie
et l’Ukraine ou bien dans le passé avec l’Iran en 2009.
Pour précision, nous ne nions pas l’actualité de l’impérialisme
Etats-Unien et/ou occidental, et sa volonté d’influencer certains
processus de révolution ou de soulèvement à travers des acteurs
politiques soumis à son influence mais souvent peu représentatifs des
mouvements populaires comme en Syrie, Iran et Ukraine. L’impérialisme
Etats-Unien reste le plus important à travers sa puissance militaire et
économique, dont les conséquences se voient jusqu’à aujourd’hui avec
l’utilisation de ses drones mortels au Pakistan, Yemen et autres ou bien
dans les négociations en cours sur le traité transatlantique (Tafta),
dont l’enjeu est clairement pour les États-Unis de s’appuyer sur le «
partenaire » européen pour réaffirmer leur hégémonie face à la montée de
la Chine, auquel il faut ajouter le déplacement de 60% de ses capacités
militaires américaines vers le Pacifique pour faire face au défi
chinois, vu comme la principale menace économique par les Etats Unis.
L’impérialisme peut aussi s’affirmer à travers des accords
économiques, comme lors du projet d’accord de partenariat économique
(APE) signé le 10 juillet 2014 au Ghana, entre l’Union européenne et 16
pays de l’Ouest de l’Afrique. Il vise à supprimer 75% des droits de
douane sur leurs importations en provenance de l’UE et à restreindre
leur autonomie en matière de politique commerciale au-delà des exigences
de l’OMC.
Cela dit, il est nécessaire de comprendre l’impérialisme comme un
système global lié au développement et aux transformations du système
capitaliste, et non à quelques acteurs limités. L’influence de plus en
plus affirmée de la Chine, qui est devenu la plus grande force
industrielle et commerciale mondiale, et qui continue à connaître des
rythmes de croissance importants malgré la baisse relative ces dernières
années et de la Russie, qui a vu la concentration des matières
premières et industries dans les mains de l’Etat et/ou affiliés à
travers une équipe d’hommes d’affaires proche allié de Poutine dans une
relations patron-client ainsi que l’augmentation des prix des matières
premières comme le pétrole, doivent être vu dans cette perspective.
L’impérialisme moderne ou capitaliste, qui remonte au développement
de l’esclavage et prend de plus en plus forme par la suite à la fin du
19ème siècle, doit être compris comme l’intersection et la
fusion de concurrences et compétitions économiques et géopolitiques.
C’est cette relation dialectique entre ces deux logiques qui expliquent
les dynamiques impérialistes actuelles. Les relations de pouvoir
changent en effet à travers le temps selon le développement capitaliste
de chaque pays et de la situation politique et dès lors de même que les
alliances. De même, il faut comprendre que si le capitalisme tend à
s’étendre au monde entier, il ne le fait pas de manière linéaire et
harmonieuse, comme l’expliquait le révolutionnaire russe Trostky dans sa
théorie de la « loi du développement inégal et combiné ». En effet les
Etats ne suivent pas les mêmes formes et phases de développement et cela
permet à certains acteurs de rattraper un retard sur d’autres comme ce
fut avec l’Allemagne à la fin du 19ème et début du 20ème siècle ou bien ces dernières décennies la Chine qui rivalise avec les Etats-Unis comme puissance économique.
L’impérialisme, défini par Lénine comme le dernier stade ou stade
suprême du capitalisme, s’inscrit aussi dans cette dynamique de
développement inégal et combiné.
Karl Marx affirmait que le capitalisme s’inscrivait dans deux
caractéristiques fondamentales : 1) L’exploitation du salariat par le
capital, antagonisme de classe fondamental et 2) par le fait que la
classe capitaliste n’étant pas un bloc unifié, il existe des rivalités
entre les capitalistes qui se disputent sur les restes et profits de
l’exploitation. En d’autres termes, l’impérialisme est un processus de
conflits entre Etats capitalistes puissants sur le contrôle des butins
de la planète.
L’échec américain de l’invasion de l’Iraq, qui n’est plus à prouver
et dont le peuple irakien souffre encore aujourd’hui de ses
conséquences, et la crise économique et financière mondiale de 2007 et
2008 qui a porté un coup sévère économiquement et de prestige du modèle
néo-libéral américain au niveau mondial ont provoqué un affaiblissement
relatif de sa puissance globale, ce qui a non seulement laissé plus
d’espace pour d’autres forces impérialiste mondiales comme la Chine et
la Russie, mais aussi à des puissances régionales, que l’on appelle
généralement sous-impérialisme, dans leurs régions respectives. Durant
ces dernières décennies on a ainsi vu l’émergence de nombreux centres
majeurs d’accumulation de capitaux qui sont de nouveaux pays
industrialisés et ont une influence politique et des investissements
régionaux toujours plus importants. Les classes dirigeantes de ces
derniers, souvent nommés « pays émergents », ne sont pas des simples
clients de l’impérialisme occidental et s’affirment de plus en plus
comme des puissances régionales ayant leurs propres intérêts et ont la
capacité de les défendre comme le Brésil en Amérique du Sud ou bien
l’Afrique du Sud en Afrique Subsaharienne Cela est aussi
particulièrement visible au Moyen-Orient à la suite de l’affaiblissement
relatif de la puissance américaine après son échec en Irak, où des
Etats régionaux comme l’Iran, l’Egypte, la Turquie, l’Arabie Saoudite et
le Qatar, ont joué un rôle grandissant dans la région et interviennent
dans les processus révolutionnaires par leurs rivalités en soutenant
différents acteurs en contradiction avec les demandes populaires pour la
démocratie, la justice sociale et l’égalité. Dans une situation
similaire, un certain nombre de personnes se revendiquant de la
« gauche » ont un problème de dénoncer les ingérences militaires
iraniennes (à travers les Pasdaran, les gardiens de la révolution) en
Syrie et Iraq ainsi que l’assistance économique et soutien politique
apporté au régime syrien ou au Hezbollah comme des formes
d’interventions politiques pour maintenir son influence politique dans
la région.
Dans la région, l’Etat d’Israel est également au service de
l’impérialisme occidental dans la région entière, à la différence qu’il
s’agit dans son cas d’un projet colonial d’expulsion de la population
indigène à savoir les palestiniens. Israel joue en effet depuis des
décennies le rôle de chien garde des intérêts impérialistes occidentaux
dans la région, notamment illustré par les propos du rédacteur en chef
du quotidien Hareetz en 1951 « Israël devra être une espèce de chien de
garde. Il n’y a pas lieu de craindre qu’il mette en oeuvre une politique
agressive contre les états arabes si celle-ci est clairement contraire
aux désirs de l’Amérique et de la Grande-Bretagne; par contre, si les
puissances occidentales choisissent une fois, pour telle ou telle raison
de fermer un oeil, on peut être certain qu’Israël sera capable de punir
comme il se doit un ou plusieurs de ses états voisins dont
l’impolitesse envers l’Occident dépasserait les limites de ce qui est
autorisé. »
L’affaiblissement relatif des Etats Unis au niveau mondial se voit
d’ailleurs dans sa politique étrangère sous le gouvernement Obama par
l’adoption d’une stratégie plus « multilatérale », de pousser et faire
pression sur d’autres pays pour collaborer sur le plan mondial, et moins
solitaire comme à l’époque de Bush. Le dernier exemple est la volonté
des Etats-Unis de se doter une couverture internationale et de
constituer une large coalition pour lutte contre le « terrorisme » de
l’Etat Islamique en Syrie en Iraq.
C’est qu’il faut également savoir c’est que les différentes
puissances impérialistes mondiales et puissances régionales bourgeoises,
en dépit de leur rivalité, collaborent lorsque le système global
impérialiste est en danger, par exemple elles toutes un intérêt commun à
la défaite des révolutions populaires de la région, que ce soit en
Syrie et en ailleurs.
Nous ne devons en effet pas imaginer les rivalités impérialistes à
l’échelle mondiale entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie comme
impossibles à surmonter lorsque leurs intérêts sont en jeu et que les
relations d’interdépendances sont en fait très présentes. Tous ces
régimes sont des pouvoirs bourgeois qui sont ennemis des révolutions
populaires, uniquement intéressés par un contexte politique stable qui
leur permette d’accumuler et de développer leur capital politique et
économique au mépris des classes populaires.
En conclusion, le rôle des forces progressistes n’est pas de choisir
entre deux forces impérialistes ou sous impérialistes qui s’affrontent
pour des gains politiques et/ou exploiter davantage de ressources ou des
peuples étrangers, cette compréhension affaiblit la lutte
anti-capitaliste en mettant de côté le fait que le combat des forces
progressistes doit toujours se situer en faveur des intérêts des classes
populaires en lutte pour leur libération et émancipation contre toutes
les formes d’impérialismes et qui par leurs luttes remettent en cause ce
système impérialiste global. Choisir un impérialisme sur un autre,
c’est garantir la stabilité du système capitaliste et d’exploitation des
peuples.
Joseph Daher