IRAN - (Wildcat - trad. Echanges) - En 1979, la révolution iranienne et la contre-révolution islamique ont donné l’image d’une profonde cassure
dans la perspective d’une révolution mondiale. La révolution de
1977-1979 fut l’une des plus importantes du xxe siècle, et la
contre-révolution, l’une des plus brutales de l’histoire moderne : selon
des estimations basses, 20 000 opposants politiques ont été assassinés
entre 1979 et 1989.
La désillusion qui a suivi l’échec de 1979 a fait que de nombreux
militants de gauche sont désormais incapables d’envisager d’autre
objectif que « la démocratie ». L’idéologie anti-impérialiste qui avait
cours autrefois (le développement du capitalisme étant une étape
nécessaire sur la voie à la révolution, l’impérialisme représentait un
frein à cette évolution dans les pays assujettis) et sa permutation
actuelle (l’Organisation des Nations unies, l’Union européenne, Obama,
les syndicats occidentaux, l’Organisation internationale du travail,
etc. doivent servir à ouvrir la voie vers la démocratie) sont les deux
faces d’une même médaille : toutes deux ignorent l’énorme potentiel
social de 1979.
On parle aujourd’hui de « mouvement pour la démocratie » ; un concept
autrefois absurde, à la limite de l’aberration, alors que l’on
s’intéressait aux besoins, aux revendications et que la propriété posait
problème. Dans le texte qui suit nous voulons tenter de répondre à
cette question : comment un vaste mouvement révolutionnaire qui, après
qu’une large coalition des habitants des bidonvilles, des étudiants, des
chômeurs et de la (petite-)bourgeoisie n’eut pu ébranler le pouvoir
dictatorial, s’est finalement exprimé dans des grèves de la classe
ouvrière, a-t-il pu se transformer en contre-révolution islamique ?
Dans un entretien paru dans le n° 541 (21 août 2009) de la revue analyse & kritik,
« Von der Massenautonomie zum islamischen Staat » (De l’autonomie des
masses à l’Etat islamique), Piran Azad se demande comment l’ample
mouvement des conseils (1) a pu être vaincu par les mollahs, et répond
qu’en fin de compte c’est parce que la gauche était faible et les
mollahs forts. Ce qui restreint définitivement le débat à une vue d’en
haut de l’histoire : « Qui, des mollahs ou de la gauche, parvient au
pouvoir ? », évacuant les antécédents des « conseils ouvriers ».
Or, la question des rapports entre processus sociaux et phénomènes
politiques est de la plus grande importance ! De nombreux commentateurs
prennent pour « début de la révolution iranienne » les initiatives et
actions politiques venues d’en haut ; les mollahs, eux, le datent d’une
manifestation du début 1978 à Qom. Alors que ce sont les mouvements de
base, nés dans les années 1970, qui furent décisifs : mouvement ouvrier,
mouvement étudiant et, surtout, le mouvement des habitants des
banlieues.
Luttes et crises avant 1978
On retrouve le même schéma pour les années 1960 : on prête
généralement l’initiative, dans ces années-là, au Shah et à sa
révolution blanche (2), considérée comme une « révolution d’en haut »
due au bon plaisir du prince. En fait, c’était une réaction à la crise
économique et aux luttes de l’époque. Pour Khomeini, et pour l’Etat
actuellement en place, « l’insurrection du 15 Khordad (3) », en juin
1963, fut avant tout un soulèvement organisé par les commerçants du
bazar après l’emprisonnement de Khomeini et écrasé dans le sang. Une
date indélébilement inscrite dans la mémoire collective dont
l’interprétation fait l’objet de débats depuis lors : les Moudjahidin du
peuple (4) tenant l’insurrection pour révolutionnaire, le parti Toudeh
(5) pour un soulèvement réactionnaire. Ici aussi, les événements des
années précédentes ont leur importance : en 1959, la période d’accalmie,
postérieure au putsch de la CIA de 1953, appartenait au passé ; la
crise économique était là et les luttes s’étendaient. Entre 1959 et
1963, notamment, les luttes ouvrières n’ont jamais cessé, auquelles
vinrent s’ajouter les manifestations d’étudiants et de lycéens ; de
nombreux partis politiques furent fondés à cette époque-là...
1958-1961
Pendant le premier trimestre 1958, le produit intérieur brut (PIB)
des Etats-Unis chutait de 10,4 %. La République fédérale allemande était
au plus bas de tout l’après-guerre. La crise économique régnait en
Iran : les prix des moyens de subsistance augmentaient, et afin de
couvrir son déficit budgétaire (80 millions de dollars en 1962), le pays
levait des crédits à l’étranger qu’il fallut financer par une réduction
des dépenses.
En juin 1959, la police iranienne ouvrait le feu sur 3 000 grévistes
des briqueteries, faisant environ 50 morts et des centaines de blessés.
Une tentative des étudiants de porter le conflit dans la rue succombait
partout sous l’action sanglante de la police. En avril 1961, trois mois
après la prise de fonction de Kennedy, on tirait sur des enseignants en
grève au cours d’une manifestation, faisant un mort. La nouvelle
administration Kennedy exigea de l’Iran de profondes réformes
économiques et politiques.
C’est dans ce contexte que se réorganisèrent les mouvements
politiques en Iran et que fut envisagée l’option d’une sortie de crise
en finançant le développement du pays par le pétrole. La soi-disant
révolution blanche convertit la terre en capital : deux millions de
paysans sans terre, qui furent plus tard dans l’incapacité de rembourser
leurs dettes à l’Etat, reçurent de petites parcelles grâce à une
réforme agraire.
Le prolétariat villageois traditionnel et les artisans ne trouvant
plus de travail à la campagne, nombre d’entre eux allèrent en ville dans
les usines nouvelles, ou pour y chercher n’importe quelle occupation.
La configuration du pays en fut considérablement modifiée : dans les
quinze années qui précédèrent la révolution, la proportion des habitants
des villes par rapport à la population totale passa du tiers à la
moitié.
Khomeini se manifesta à cette époque, tout d’abord en demandant au
Shah de ne pas accorder le droit de vote aux femmes, puis en s’exprimant
violemment contre les Etats-Unis et les « lois capitulardes ».
L’écrasement du soulèvement de 1963 fit de lui, dans la mémoire
collective, le dépositaire de ces années de lutte.
1963-1972
La période qui va du soulèvement de 1963 à 1968 a été principalement
marquée par des mobilisations estudiantines ; l’Iran, aussi, a eu son
« 68 ». Puis, c’est un mouvement ouvrier revigoré qui reprit la parole.
La grève des bus en 1968 fut importante en ce sens. Le régime voulait
augmenter le prix des tickets, mais tout le monde s’y opposait : les
étudiants, les écoliers, les usagers, les conducteurs de bus et les
travailleurs des entreprises de transport, et ils ont fait reculer le
pouvoir par la grève. En 1971, ce sont les ouvriers du textile qui se
mettaient en grève à Téhéran et organisaient une marche demeurée
célèbre ; la police et la Savak (6) ouvraient le feu sur la
manifestation, tuant 10 ouvriers.
Un mouvement de guérilla était né peu de temps auparavant, qui se
voulait « le petit moteur qui allumerait le grand moteur » et qui se
sentait conforté dans cette conception par la manifestation des ouvriers
du textile (« Notre mouvement a porté ses fruits »). Mais le lien entre
guérilla et mouvement ouvrier était artificiel : les luttes ouvrières
étaient nées sans elle.
Au début, il n’y avait que des travailleurs « conformes » dans les
analyses des groupes de guérilla ; après la grève des ouvriers du
textile, ils se sont ouvertement impliqués dans les luttes puis, dans
un troisième temps, ont recruté dans les usines. Ce qui leur valut des
critiques de plus en plus vives à partir de 1975 : pourquoi avoir
arraché les travailleurs aux usines ? Ils auraient été beaucoup plus
utiles s’ils y étaient restés !
Après la grève des ouvriers du textile, le mouvement faiblit, pour
repartir avec la montée de l’inflation. L’occupation d’une usine textile
fut alors une autre lutte cruciale : les ouvriers s’étaient barricadés à
l’intérieur et on ne pouvait leur procurer à manger et autres
commodités qu’à travers une fenêtre. Des étudiants assuraient le
ravitaillement ; il fallait du courage, la Savak ayant entièrement
encerclé l’usine. La tradition de l’unité entre étudiants et
travailleurs date de cette époque.
La crise mondiale de 1973 et ses conséquences
S’il est impossible de comprendre l’industrialisation massive en Iran
sans tenir compte de la crise des années 1950, on ne peut pas plus
comprendre la révolution iranienne sans tenir compte de la « crise
mondiale du pétrole » de 1973. En quelques années, le pays fut soumis à
une crise générale, malgré un quintuplement des prix du pétrole et un
quadruplement de ses revenus annuels engendré par ses exportations de
pétrole.
Les pétrodollars encaissés n’étaient pas seulement investis à
l’étranger (chez Krupp, Daimler, etc.) mais aussi engagés dans une
capitalisation spéculative des terres. Les dépenses en investissements
doublèrent, on encouragea l’importation de technologies à grande échelle
(la construction de centrales nucléaires, entre autres) et l’armée
iranienne fut dotée des équipements les plus modernes ; mais le boom ne
dura que deux années, et dès la mi-1976 les dépenses de l’Etat
dépassaient ses recettes, provoquant une disette entre 1975 et 1977 qui
se transforma en récession au début 1977.
Les travailleurs répondirent à l’inflation galopante depuis le début
de l’année 1974 par une vague de grèves, qui atteignit son apogée en mai
et entraîna une hausse des salaires, mais aussi l’arrestation et le
licenciement de nombreux ouvriers ; cinquante-deux d’entre eux, venant
des seules raffineries de Téhéran, furent ainsi emprisonnés.
L’effervescence qui touchait les usines et les universités depuis des
années se répandit bientôt dans les ceintures de pauvreté des villes,
non seulement à Téhéran mais partout ailleurs. Le mouvement des
habitants des bidonvilles, notamment, s’étendit dans la mesure où la
crise économique évoluait. Ces habitants des bidonvilles : ouvriers,
chômeurs et petits commerçants, étaient les plus affectés par la crise,
et souffraient en outre de ce que l’industrie, et le marché du travail
en général, embauchaient de moins en moins alors que de plus en plus de
gens venaient en ville.
J’ai moi-même vécu dans le milieu des années 1970 cet afflux
quotidien de population et les petits conflits incessants qui en
découlaient. Ils n’avaient ni eau courante ni électricité ; et ils
avaient construit leurs maisons, s’étaient branchés sur le réseau
électrique ou devaient s’approvisionner en eau illégalement. Les
accrochages avec la garde autour de ces campements non autorisés étaient
continuels. Le pouvoir d’Etat et les grandes entreprises de
construction immobilière envoyèrent par exemple, en novembre 1974, des
troupes pour déloger les occupants de ce qui est maintenant Schemira (un
quartier de Téhéran) où, à cette seule occasion, 60 maisons furent
rasées et où on dénombra plusieurs morts. En août 1977, il y eut une
grande manifestation à laquelle participèrent 50 000 habitants des
bidonvilles. La situation était incontestablement explosive.
Sur ce, le Shah mit en place un nouveau gouvernement dont les
premières mesures furent de relâcher la répression sur les campements
aux portes des villes et de supprimer la caisse spéciale pour le
paiement des mollahs. Des nationaux-libéraux (tels que Bazargan (7),
plus tard président du conseil), des intellectuels et l’intelligentsia
libérale cherchèrent à profiter de cette « ouverture » en appelant au
respect des droits de l’homme. Et depuis son exil, Khomeini annonça
l’unité entre intellectuels et mollahs.
Le 9 janvier 1978, des milliers d’étudiants en religion manifestaient
à Qom aux côtés d’autres étudiants pour appeler l’intelligentsia à
prendre publiquement position en faveur de Khomeini qui avait été
diffamé dans un article de journal. La police ouvrit le feu sur la
foule, faisant 9 morts et 15 blessés. Ces événements sont présentés
aujourd’hui par le régime comme marquant le début de la révolution.
Selon certains cléricaux, c’est à partir de ce moment-là que les
commerçants du bazar se joignirent au mouvement ; à cette époque, ils
étaient 400 000 rien qu’à Téhéran sur une population de 5 millions. Les
mosquées étant accessibles à tous et hors de portée de la répression
étatique, elles remplacèrent bientôt les campus et autres lieux comme
centres du mouvement. Les ouvriers et ouvrières qui, à cette époque,
s’étaient organisés en comités de grève à l’intérieur des usines,
hésitèrent dans un premier temps à descendre dans la rue. Les anciens,
en particulier, qui se méfiaient des mollahs, ne voulaient pas
manifester sous le slogan « tous ensemble », craignant que leurs
intérêts ne soient pas pris en compte.
Quarante jours plus tard, une cérémonie funéraire organisée à Tabriz
en l’honneur des morts de Qom dégénérait en manifestation que le régime
voulut disperser brutalement, provoquant une émeute. Ce soulèvement est
aujourd’hui dûment répertorié dans le martyrologe sous le nom de « Qom
quarante jours après ». A l’époque, on ne vit dans cette affaire aucune
image de Khomeini ; presque personne ne le connaissait ni n’avait idée
de ce que pouvait être une « république islamique ». Par contre, on
pouvait voir plusieurs portraits de militants de gauche assassinés ainsi
que de Chariati (8). La plupart des participants ne pouvaient alors
imaginer que l’islam, ou n’importe quelle autre religion, aurait plus
tard son rôle à jouer.
Une période de manifestations de masses s’amorça à partir d’août
1978, à laquelle le gouvernement réagit par des mesures discordantes :
une fois, par la proclamation de l’état de siège et des massacres (comme
lors du « vendredi noir » avec plus de 250 morts et mille blessés) ;
une autre fois, par un peu plus de libertés politiques (en libérant par
exemple des prisonniers politiques appartenant principalement à l’élite
dirigeante des islamistes). Quelques-uns de ces dirigeants, tels que
Taleghani, Rafsandjani et Khamenei (9), se mirent peu après à la tête
des manifestations et formèrent, plus tard, le Conseil de la révolution
(10) aux côtés d’autres délégués nommés par Khomeini.
A ce moment-là, tout le monde était dans la rue. Dans les usines, les revendications n’étaient plus purement économiques mais prenaient un tour politique. On avait alors affaire à un vaste mouvement populaire d’écoliers, d’étudiants, des administrations et des usines. L’idée d’une grève générale se faisait jour.
A ce moment-là, tout le monde était dans la rue. Dans les usines, les revendications n’étaient plus purement économiques mais prenaient un tour politique. On avait alors affaire à un vaste mouvement populaire d’écoliers, d’étudiants, des administrations et des usines. L’idée d’une grève générale se faisait jour.
Le 19 août 1978, 25e anniversaire du putsch de la CIA contre
Mossadegh (11), un cinéma où on projetait un film de gauche était
incendié à Abadan. On accusa la Savak d’en avoir été à l’origine. Quatre
cent soixante-dix-sept personnes ont perdu la vie dans cet incendie.
L’instigateur et le maître-d’œuvre en était un proche de Khamenei, mais
on ne le sut qu’après la révolution. La première manifestation,
organisée en grande partie par un comité de travailleurs, eut lieu à
Abadan juste après les obsèques des victimes. Des coups de feu tirés sur
la foule firent quelques blessés ; le lendemain, Abadan donnait le
signal de la grève générale.
S’ensuivit un cycle de grèves de masses à partir de l’automne : le 23
septembre 1978, jour de rentrée des classes, écoliers et étudiants se
mettaient en grève et descendaient dans la rue ; les travailleurs des
raffineries de pétrole de Téhéran, eux, étaient en grève depuis le 9 ;
le 7 octobre, c’était au tour de ceux des champs de pétrole. Entre
octobre 1978 et janvier 1979, la grève devenait générale, suivie par 4
millions d’ouvriers et employés. Des comités de grève s’érigeaient de
tous côtés ; les quartiers passaient sous le contrôle de comités de
voisins.
Il n’y avait ni caisse de grève ni argent. Or, les grèves longues ne
pouvaient tenir qu’avec le soutien financier des autres couches de la
population ; ce fut la porte ouverte au bazar et aux organisations
politiques des mollahs. Le soulèvement contre le régime du Shah commença
par la grève des travailleurs du pétrole, qui servit elle-même de
levier à la contre-révolution islamiste.
Vingt ans après, un des meneurs du conseil ouvrier des raffineries de Téhéran racontait :
« On n’a perçu aucun salaire pendant la grève et nous n’avons pas
touché à l’argent du syndicat déposé en banque. Nous avons mis en place
une caisse de solidarité et appelé tout le monde à y contribuer ; les
étudiants, d’autres encore, avaient épuisé tout leur argent ou bien
avaient quelque empêchement. Nous nous sommes alors adressés à
l’ayatollah Taleghani, qui était proche des Moudjahidin du peuple. Il a
appelé les commerçants du bazar à la rescousse, et nous avons obtenu de
l’argent à répartir entre tous les ouvriers ; ces derniers ont même reçu
en deux mois un salaire équivalent à cinq mois de travail. Mais nous
nous étions mis ainsi à la merci des forces réactionnaires. Le bazar
imposa la présence de Hadji Araghi (un islamiste du bazar, plus tard
directeur d’une prison de Téhéran) aux réunions secrètes de notre
comité ; et il était en même temps membre du comité national. C’est
ainsi que Khomeini acquit une énorme influence sur notre mouvement...
Nous avions jusqu’alors refusé de remettre les raffineries en marche,
mais lorsque Khomeini dit qu’il fallait reprendre le travail pour
répondre à la demande intérieure, nous avons accepté ; lorsque, après le
soulèvement de février, Khomeini ordonna le désarmement des conseils
ouvriers, ces derniers ont rendu les armes... (12) »
La contre-révolution islamique en marche
Peu à peu, des liens organisationnels se sont mis en place entre le
clergé autour de Khomeini et certaines fractions des commerçants du
bazar ainsi que de ce que l’on appelle la bourgeoisie libérale ; ce
groupe est alors parvenu à s’imposer à la tête du mouvement en chassant
les militants de gauche et les femmes des manifestations. Khomeini et
ses partisans firent de l’importation de la culture occidentale
« colonialiste » : télévision, cinéma, etc., la cible de leur
propagande. Dans les manifestations et les affrontements avec la police,
l’armée et les forces de sécurité, on ne s’attaquait plus seulement aux
banques, aux institutions étatiques ou aux postes de police, mais aussi
aux cinémas, aux magasins qui vendaient de l’alcool, etc. L’incendie du
cinéma le Rex à Abadan constitua, de ce point de vue, un apogée, bien
qu’à l’époque beaucoup de gens en rejetèrent la responsabilité sur le
régime du Shah plutôt que sur les khomeinistes.
Depuis Paris, Khomeini se présentait inlassablement comme l’avocat
d’une résistance passive. A l’occasion de l’Achoura (13), le sommet du
mois de deuil pour les chiites, le 11 décembre 1978, ses partisans et
les libéraux religieux, avec l’accord et la bénédiction d’une partie de
l’armée, organisèrent une marche à Téhéran, à laquelle participèrent
plus d’un million de personnes canalisées par un impressionant service
d’ordre des religieux. Les mollahs avaient tout planifié : des centaines
de milliers de femmes en tchador (grand voile noir) se pliaient aux
règles de l’ordre islamique. Les militants de gauche et les laïques
étaient soit absents soit indésirables. Partout des affiches de
Khomeini, mais aussi des portraits du réformateur religieux Ali
Chariati ; très peu de portraits de Mossadegh, et ici et là des slogans
anti-communistes. Cette marche prit l’allure d’un référendum en faveur
de la prise du pouvoir pacifique par Khomeini.
Au début janvier 1979, lors du sommet du G4 (Etats-Unis, Angleterre,
France et République fédérale allemande) en Guadeloupe, l’Iran tenait le
haut de l’ordre du jour. Tout le monde était d’accord : le Shah devait
partir. Une semaine auparavant, le ministre français des Affaires
étrangères avait rencontré à Paris le représentant de Khomeini,
Ghotbzadeh (14), et demandé des précisions sur la politique de Khomeini.
Deux choses leur furent garanties : les livraisons de pétrole à
l’Occident resteraient constantes et l’Iran combattrait le communisme,
c’est-à-dire l’influence russe en Iran. Le lendemain de la conférence,
une délégation transmettait à Khomeini la décision prise sur le départ
du Shah. Il s’agissait d’éviter à l’Iran d’imploser dans l’intérêt de
tous. On demandait à Khomeini de veiller au calme et de ne pas s’opposer
à Bakhtiar (15) afin d’écarter toute menace de putsch militaire.
Khomeini assura que l’Iran recouvrerait la paix après l’abdication du Shah, que l’économie resterait en ordre de marche et que le pétrole coulerait de nouveau vers l’Occident. La rencontre est demeurée secrète (16).
Khomeini assura que l’Iran recouvrerait la paix après l’abdication du Shah, que l’économie resterait en ordre de marche et que le pétrole coulerait de nouveau vers l’Occident. La rencontre est demeurée secrète (16).
Le soulèvement de février
Le 16 janvier, le Shah prenait la fuite et, le 1er février, Khomeini
atterrissait à Téhéran. A ce moment-là, des comités de grève se
constituaient à tous les niveaux de la société qui allaient, plus tard,
se transformer en conseils ; mais aussi des comités de quartiers, plus
fortement soumis à l’influence des mollahs et des commerçants du bazar.
La distribution des produits pétroliers et des moyens de subsistance
était organisée par les gens eux-mêmes.
En peu de temps, un conflit éclata entre la garde, restée fidèle au
Shah, et une partie de l’armée ; des éléments de la population s’en
mêlèrent et se dirigèrent vers les casernes pour prendre les armes. Le 9
février, des collaborateurs de la Savak étaient faits prisonniers et
les corps d’armée demeurés fidèles au régime étaient contraints de se
rendre lors d’affrontements armés à Téhéran et dans d’autres grandes
villes. Partout dans les villes, la police et les unités militaires
fidèles au Shah, ainsi que les membres de la Savak, furent désarmés. On
estime que rien qu’à Téhéran, 300 000 armes tombèrent aux mains de la
population. Pendant ces journées de février, les usines, les
administrations, les écoles, les universités, etc. étaient toutes portes
closes. Les militants de gauche occupaient les stations de télévision,
faisaient passer sur les ondes des chants autrefois interdits, et qui le
seront de nouveau plus tard, réalisaient leurs propres programmes...
Tout au long des ces jours d’émeutes, les mollahs parcoururent les rues
sans relâche, vouant l’armement du peuple aux gémonies.
Durant ces journées, la machine d’Etat ne s’effondra pas simplement
sous l’action des ouvriers révolutionnaires, de la jeunesse, des
soldats, etc. ; une partie en fut aussi conquise par la
contre-révolution islamique. De nombreux comités de quartier se
convertirent en organes de la contre-révolution, d’où sortirent plus
tard les bassidji et les pasdaran (17).
Puis vint le décret de Khomeini qui ordonnait à tous de reprendre le
travail. Des discussions s’élevèrent de tous côtés : « Que fallait-il
faire ? » Il n’était bien sûr pas question de venir à l’usine avec des
armes ! Il fallait les déposer dans une pièce sous le contrôle de
surveillants, parmi lesquels, au fil du temps, les partisans de Khomeini
prirent petit à petit le pas sur les militants de gauche.
Dans les premiers temps, on pouvait reprendre ses armes à la fin de
sa journée de travail. Tout le monde pensait alors qu’il fallait rendre
coup pour coup à l’ancien régime ; nous combattions un régime
réactionnaire qui n’était pas encore définitivement vaincu. Nous nous
retrouvions tous ensemble en lutte contre la Savak. Toutefois, au bout
d’une ou deux semaines, il apparut que nous avions un nouvel ennemi, pas
seulement sur le lieu de travail ; les comités de quartier
s’attaquaient aux manifestations de femmes et de chômeurs, traitaient
les manifestants d’agents de la Savak et les mettaient en prison. Tandis
que dans les comités d’usine étaient organisés tous les travailleurs,
ce qui en faisait de véritables conseils ouvriers, on trouvait dans les
comités de quartier des commerçants du bazar, des mollahs et même
parfois d’ex-membres de la Savak. C’est à partir de ces comités de
quartier que la contre-révolution s’organisa.
A Tabriz nous avions, comme dans beaucoup d’autres villes, un
mouvement de chômeurs important et actif. Après la révolution, celui-ci
appela à une réunion publique à laquelle accoururent entre 500 et 1 000
personnes. Nous avions entendu dire que les comités de quartier avaient
l’intention d’intervenir contre cette réunion. Finalement, ils ne se
contentèrent pas seulement de la perturber, mais arrêtèrent plusieurs
participants pour les emmener dans les mosquées où on les accusa d’être
des agents de la Savak, des contre-révolutionnaires, etc.
Puis, ce furent les femmes qui furent agressées dans les
manifestations, par exemple au vitriol, parce qu’elles ne portaient pas
le voile. Ensuite, l’offensive se concentra sur les rapports de forces
au sein des entreprises ; toujours à partir des comités de quartier, le
gouvernement islamique imposa sa marque, fit de la propagande contre
« les militants de gauche dans les usines » et contre les conseils
ouvriers en général, et préconisa l’instauration de comités islamistes
partout. Le gouvernement nomma de nouveaux dirigeants dans les
entreprises pour remplacer ceux qui avaient fui, avaient été arrêtés ou
bien avaient été chassés par les travailleurs. Plus tard, vinrent les
organismes d’Etat avec pour tâche de jeter dehors les ouvriers
révolutionnaires.
Tous ces conflits avec le nouvel Etat ont duré environ un an et demi.
Tous ces conflits avec le nouvel Etat ont duré environ un an et demi.
L’analyse de classe erronée des partis
de gauche
les amène
à s’unir à Khomeini
Carter (18) s’est plaint dans ses Mémoires que les mollahs lui aient
menti. En fait, c’est le soulèvement de février qui a obligé le régime à
se radicaliser et à jouer la carte de l’anti-impérialisme. Si l’on
regarde aujourd’hui ce que les mollahs ont dit et fait à l’époque, on
remarque qu’ils se sentaient étroitement menacés et craignaient que
s’ils ne faisaient rien, tout allait exploser. « La gauche menait une
lutte idéologique contre les Etats-Unis, le capitalisme, etc. ; il nous
fallait agir ! » A ce moment-là, le régime accordait plus d’importance à
l’idéologie anti-impérialiste qu’à la religion.
Les fedayins du peuple (19), par exemple, avaient occupé l’ambassade
des Etats-Unis juste après le soulèvement de février. On y dépêcha en
urgence le ministre islamique des Affaires étrangères, et tout rentra
dans l’ordre. Personne n’en a gardé le souvenir. Neuf mois plus tard,
les étudiants proches du régime reçurent d’en haut le signal que, cette
fois-ci, personne ne viendrait s’en mêler. A l’occasion de cette
deuxième occupation de l’ambassade des Etats-Unis, une grande partie de
la gauche se demanda : « Que faire à partir de maintenant ? Nous ne
pouvons pas tout simplement rester les bras croisés alors que les
étudiants occupent l’ambassade des Etats-Unis ! » Il est vrai que neuf
mois plus tôt les militants de gauche scandaient : « Après le Shah, les
USA ! » C’est pourquoi ils furent nombreux à collaborer.
L’anti-impérialisme pratique exigeait de se mettre aux ordres du régime
« anti-impérialiste ».
Dans la foulée, ils participèrent à la « guerre défensive » contre
l’Irak (septembre 1980-août 1988) et à la répression du mouvement
révolutionnaire, jusqu’à ce que le régime les emprisonne à leur tour et
les exécute. Depuis toujours, Khomeini s’était élevé contre les
universités, les étudiants et, surtout, contre les femmes, mais de
nombreux militants de gauche ne voulaient voir en lui que le militant
ant-impérialiste combattant les Etats-Unis.
La contre-révolution a opprimé les femmes, les paysans, les
mouvements de chômeurs et les minorités ethniques. Les islamistes ont
infiltré les conseils ouvriers et les mouvements estudiantins. Jusqu’à
la mort de Khomeini, en 1989, plus de 20 000 opposants au régime ont été
assassinés ; et c’est en cet instant crucial que la gauche a elle-même
rendu les armes sous couvert d’anti-impérialisme.
Beaucoup de gauchistes voyaient dans l’Iran un « capitalisme
assujetti » : la chute de la dictature du Shah et l’indépendance
vis-à-vis de tout impérialisme leur paraissaient donc être la première
des tâches à accomplir. Le parti Toudeh, asservi à Moscou, ne fut pas le
seul à élaborer une « analyse de classe » où l’on voyait des alliés
contre l’impérialisme dans la petite-bourgeoisie et la bourgeoisie
national-libérale (tel Bazargan, par exemple). Pour la plupart des
militants de gauche, les intellectuels autour de Khomeini représentaient
la petite-bourgeoisie, la majorité des commerçants du bazar ; et ils
classaient, selon ce même schéma, les grands bourgeois du même bazar
parmi les forces réactionnaires représentées par les mollahs
« conservateurs », eux-mêmes souvent gros propriétaires terriens.
L’idéologie marxiste-léniniste de la nécessité d’une période de
transition vers le socialisme et d’un accord avec les forces bourgeoises
explique que de nombreux partis de gauche aient tenté de pousser à la
radicalisation les revendications de l’islam politique de Khomeini, ou
de « s’en servir », pour finalement se faire les complices de la
contre-révolution.
Malgré tout son jargon marxiste, la gauche iranienne avait accouché
d’une analyse de classe largement pire que celle de Khomeini. Lui avait
bien compris la dynamique des classes ! Il avait compris que les 500
années précédentes, pendant lesquelles le chiisme avait été religion
d’Etat avec le soutien des féodaux, appartenaient définitivement au
passé, que la révolution blanche avait signé le commencement de la fin
des féodaux.
Il avait alors conçu une nouvelle union clergé-bazar qui lui
permettait de se faire le porte-parole des adversaires des « couches
modernes » du prolétariat. Cette union avec les capitalistes du bazar en
voie d’ascension fut politiquement centrale, mais l’« analyse de
classe » de la plupart des partis de gauche l’ignora complètement !
L’influence du bazar se faisait sentir sur d’autres catégories
sociales ; il entretenait de bonnes relations jusque dans les
bidonvilles, du fait qu’il y avait naturellement un ou deux commerces à
chaque coin de rue et que les propriétaires de ces commerces, liés au
bazar, ne rapportaient pas seulement des marchandises mais colportaient
aussi des idées. Des commerçants qui n’étaient, en outre, pas uniquement
propriétaires de magasins, mais vivaient dans les bidonvilles et y
jouaient un rôle influent...
Par ailleurs, toutes ces couches sociales, liées entre elles,
allaient ensemble dans les mosquées ouvertes jour et nuit. Chaque
discours radical d’un mollah était suivi d’une manifestation nocturne.
Voilà quelle fut l’arme originale de Khomeini. Enfin, en troisième lieu,
Khomeini avait proposé un accord aux intellectuels dès avant la
révolution : « Vous avez le savoir, vous avez l’intelligence, vous êtes
musulmans ; mais nous, nous avons le peuple avec nous ! Nous sommes des
mollahs, nous ignorons tout de la politique ; venez avec nous et
apprenez-nous la politique ! Travaillons ensemble ! »
Les mouvements d’ouvriers, d’étudiants, de chômeurs et d’habitants
des bidonvilles s’opposèrent à cette classe qui soutenait Khomeini dans
le bazar et à l’union idéologique de celui-ci avec les intellectuels. La
contre-révolution khomeiniste ne les a pas seulement écrasés les uns
après les autres, mais est aussi parvenue parfois à les dresser les uns
contre les autres. Pendant ces années décisives, l’idéologie
anti-impérialiste a joué un rôle dévastateur. Quasiment tous les partis
de gauche la considérait comme ligne de front principale et les
militants ouvriers eux-mêmes n’en étaient pas indemmes.
1979 et aujourd’hui
L’article Iran : une renaissance ?
(20) s’est largement étendu sur la crise économique actuelle en Iran.
Depuis, les dettes non remboursées aux banques de la part des
entreprises se sont accumulées et s’élèvent maintenant à 50 milliards de
dollars américains. Cet endettement et le maintien de l’embargo font
craindre généralement en Iran une faillite du système bancaire. La chute
des prix du pétrole et le durcissement des conditions de crédit aux
entreprises aggravent la situation. Le nombre des chômeurs ne cesse
d’augmenter.
Ahmadinejad persiste dans sa politique répressive, et cherche à
démanteler le système des subventions et à restructurer l’économie. D’un
côté, il suit la voie capitaliste que le Fonds monétaire international
et la Banque mondiale réclament à grands cris depuis une vingtaine
d’années, là où tous les précédents régimes ont échoué ; de l’autre, il
propose de compenser la suppression programmée des subventions par un
revenu minimal d’existence auquel plus de la moitié de la population
serait éligible. Finies les anciennes subventions aux prix du pain, de
l’essence, etc. ; place à une aide directe de l’Etat aux
« nécessiteux ».
Cette politique le rapproche objectivement de la base sociale qui
soutient Moussavi (21), c’est-à-dire une partie de la bourgeoisie et du
patronat. S’il peut y avoir désaccord sur les moyens, les buts sont les
mêmes.
Trois choses sont maintenant claires, au moins depuis l’enterrement du grand ayatollah Montazeri (22), à la fin décembre 2009, à l’occasion duquel des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue : les événements ne peuvent pas revenir en arrière, pas plus que les changements dans la société dont ils sont l’expression ; malgré une répression massive, de plus en plus de gens descendent dans la rue ; et les manifestants se radicalisent en ce sens où ils ne se laissent plus enfermer dans l’alternative électorale de l’été 2009.
Trois choses sont maintenant claires, au moins depuis l’enterrement du grand ayatollah Montazeri (22), à la fin décembre 2009, à l’occasion duquel des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue : les événements ne peuvent pas revenir en arrière, pas plus que les changements dans la société dont ils sont l’expression ; malgré une répression massive, de plus en plus de gens descendent dans la rue ; et les manifestants se radicalisent en ce sens où ils ne se laissent plus enfermer dans l’alternative électorale de l’été 2009.
Il reste cependant à démontrer si ces mouvements peuvent devenir « autonomes » :
– soumis à une violente répression, le mouvement de protestation
cherche les lieux et les jours de l’année qui lui permettront de
s’organiser et de prendre de l’ampleur : la prochaine occasion en sera
l’anniversaire du soulèvement de février 1979. Il se radicalise, c’est
vrai, mais il se limite à investir les rues ; il n’est pas encore entré
en contact avec les actions des travailleurs, bien que ces derniers
aient donné des signes d’organisation en comités. Néanmoins, le
mouvement de protestation jouit de la sympathie des travailleurs et
« des hommes et des femmes ordinaires » ;
– la situation inquiète une grande partie des militants et intellectuels de gauche. Nombre d’entre eux ont pris position contre la « violence des deux côtés », tel Asef Bayat dont nous avons recommandé la lecture d’un de ses ouvrages dans notre dernier numéro (23) ;
– les émeutes de l’Achoura (24) ont constitué la ligne de partage des eaux. Depuis, Moussavi s’est déclaré à mots couverts prêt à négocier avec le régime, et de nombreux militants de gauche se sont ralliés à cette option. Le mot d’ordre est : « Nous devons trouver une issue à la crise », ce qui veut dire : « L’Iran doit retrouver la paix. »
– la situation inquiète une grande partie des militants et intellectuels de gauche. Nombre d’entre eux ont pris position contre la « violence des deux côtés », tel Asef Bayat dont nous avons recommandé la lecture d’un de ses ouvrages dans notre dernier numéro (23) ;
– les émeutes de l’Achoura (24) ont constitué la ligne de partage des eaux. Depuis, Moussavi s’est déclaré à mots couverts prêt à négocier avec le régime, et de nombreux militants de gauche se sont ralliés à cette option. Le mot d’ordre est : « Nous devons trouver une issue à la crise », ce qui veut dire : « L’Iran doit retrouver la paix. »
Nous avons voulu montrer une fois de plus que la révolution faisait
partie des possibilités historiques en 1979. De même, aujourd’hui, ce
qui se passe en Iran revêt un intérêt mondial, pas seulement pour le
« monde islamique » (par exemple, le pétrole). En 1979, la
« démocratie » représentait une étape sur la voie du « passage » à un
monde meilleur, ce qui, finalement, exprimait le regard qui était porté
sur les potentialités de l’époque.
Pour les protestataires d’aujourd’hui, 1979 c’est le chiffre de
l’opposition à une dictature brutale et le symbole d’un nouveau départ.
Mais parler de « mouvement pour la démocratie », c’est en donner une
définition trop restrictive. Si l’on veut comprendre ce qui est en
gestation derrière les actuels mouvements de protestation en Iran, ainsi
que leur signification pour le reste du monde, nous ne devons justement
pas les subordonner à un simple « mouvement pour la démocratie ».
Notes
Les notes sont du traducteur, sauf mention contraire.
(1) Sur les conseils ouvriers en Iran à la fin des années 1970, on lira Serge Bricianer, Une étincelle dans la nuit. Islam et révolution en Iran. 1978-1979, Ab irato, 2002 ; et le compte rendu de cet ouvrage paru dans Echanges n° 100, p. 67 (voir Echanges n° 115, note 6, p. 37).
(2) Programme de modernisation du pays lancé en 1963 par le Shah Mohammad Rezâ Pahlavi, qui gouverna l’Iran de 1941 à 1979.
(3) Khordad est le nom d’un des mois du calendrier perse. Les
événements dont il s’agit ici datent du 15 Khordad 1342, c’est-à-dire du
5 juin 1963.
(4) Les Moudjahidin du peuple se sont formés dans les années 1960. En
1979, ils affichaient une idéologie trotskyste et anti-impérialiste, et
étaient membres de l’Internationale socialiste. Après la chute du Shah,
ils organisent des attentats contre les militaires américains en Iran
et créent des comités révolutionnaires. Ils sont persécutés à partir de
1981, date de la rupture de Khomeini avec la gauche et en août de cette
année-là, ils s’exilent massivement en France. Ce sont eux qui ont
indiqué à la CIA l’emplacement des sites nucléaires en Iran.
(5) Le parti Toudeh (Parti du peuple) d’Iran a été fondé en 1941.
C’est un parti de type léniniste, anti-impérialiste et nationaliste,
aujourd’hui clandestin.
(6) Savak : Saseman Amniat va Etelaot Keschwar, services secrets iraniens de 1957 à 1979. (Note de Wildcat.)
(7) Mehdi Bazargan (1907-1995) est nommé premier ministre par
Khomeini le 5 février 1979. Il était privé de toute autorité, le pouvoir
effectif étant alors entre les mains des comités révolutionnaires
constitués par les ouvriers, employés et étudiants dans l’ensemble du
pays. Il démissionne de son poste le 5 novembre, le lendemain de la
prise de l’ambassade américaine, pas tant, semble-t-il, pour protester
contre cette action que parce que le régime s’opposait à ses conceptions
libérales, anticléricales et pro-parlementaires.
(8) Ali Chariati (1933-1977) est un philosophe iranien qui a
renouvelé le chiisme, version de l’islam majoritairement suivie en Iran.
La scission entre chiisme et sunnisme, les deux courants les plus
pratiqués par les islamistes, remonte à une querelle de succession après
la mort de Mahomet, en 632, pour savoir qui devait devenir le nouveau
guide du peuple des croyants. Les particularités doctrinales et les
différence théologiques entre ces deux courants reposent donc finalement
sur une base politique, les chiites accordant plus d’importance à leurs
dirigeants religieux que les sunnites qui ont un système religieux
moins rigoureusement hiérarchisé.
(9) L’ayatollah Mahmoud Taleghani (1911-1979), considéré comme un
membre modéré du clergé iranien, avait appartenu à l’opposition chiite
au gouvernement du Shah, aux côtés de Khomeini. Il est mort peu après la
prise du pouvoir par ce dernier. Ali Akbar Hachemi Rafsandjani fut
président de l’Iran de 1989 à 1997. Ali Khamenei, soutenu par
Rafsandjani, est devenu le Guide suprême de la République islamique
d’Iran à la mort de Khomeini en 1989, après la disgrâce du dauphin
présumé Hossein Ali Montazeri (1922-2009). Il a vivement pris position
en faveur d’Ahmadinejad après la réélection de celui-ci en juin 2009.
(10) Le Conseil de la révolution a été formé en janvier 1979 sur
l’initiative de Khomeini et était, à l’origine, composé de religieux, de
dirigeants politiques laïcs proches de Bazargan et de représentants de
l’armée. Après la démission de Bazargan du gouvernement, ses proches
quittent le Conseil le laissant aux mains des religieux.
(11) Mohammad Hedayat, dit Mossadegh (1881-1967), milita pour la
nationalisation du pétrole alors qu’il était premier ministre en 1951.
Le Shah le renversa avec l’aide de la CIA et le mit en prison en 1953.
(12) Khosroshahi Yadullah, « Khaterati az Zendegi va Mobareze ye
Kargaran e Naft » (Souvenirs de vie et de lutte des travailleurs du
pétrole), in Pazhuhesch e Kargari n° 3, Hanovre, printemps 1999,
p. 110-111. Yadullah était syndicaliste et militant ouvrier. Sous le
régime du Shah, il participa à la fondation du syndicat des travailleurs
du pétrole de Téhéran et devint plus tard membre du conseil ouvrier des
raffineries. Il connut la prison, sous le Shah et sous Khomeini, pour
faits de grève et en raison de ses activités politiques. Il est mort à
Londres des suites d’une attaque cardiaque le 4 février 2010. (Note de
Wildcat.)
(13) Pour les sunnites, l’Achoura est une période de jeûne de deux
jours. Instituée par Mahomet sur le modèle du Yom Kippour juif, le
dixième jour du septième mois ; le nombre 10 se prononçant asara en
arabe a donné son nom à cette fête. Pour les chiites, il commémore
l’assassinat de l’imam Hussein et de ses partisans à Kerbala en Irak.
(14) Sadegh Ghotbzadeh (1936-1982) fut un proche de Khomeini durant
son exil en France et ministre des Affaires étrangères en Iran entre
novembre 1979 et août 1980, au moment de l’occupation de l’ambassade des
Etats-Unis. Il est mort sous les balles d’un peloton d’exécution en
1982 pour un prétendu projet d’assassinat de Khomeini et de renversement
de la république islamique.
(15) Chapour Bakhtiar (1914-1981) accepta le poste de Premier
ministre offert par le Shah à la fin 1978. Le 10 février 1979, son
gouvernement est renversé et lui-même quitte l’Iran en avril. Il s’exile
en France d’où il mène un Mouvement de résistance nationale opposé à la
république islamique iranienne. Après avoir échappé à un premier
attentat en 1980, il est assassiné en banlieue parisienne par un
commando le 7 août 1981.
(16) Yasdi Ebrahim, Akharin Talasch ha dar Akharin Ruz ha (Ultimes
tentatives des derniers jours), Téhéran, 2000, p. 89-98 ; Pierre
Salinger, America Held Hostages : The Secret Negotiations (L’Amérique
prise en otage. Les Négociations secrètes), 1981. (Note de Wildcat.)
(17) Les bassidji et les pasdaran sont des milices paramilitaires aux ordres du régime.
Le corps des Pasdaran, ou Gardiens de la révolution, créé en mai
1979, peu après l’arrivée au pouvoir des religieux, est financée par
l’Etat. Il agit parallèlement à l’armée régulière et est soumis
directement au Guide de la révolution, actuellement Ali Khamenei.
Le corps des Bassidji, constitué pendant la guerre contre l’Irak
(1980-1988), est composé de volontaires parfois très jeunes, certains
ayant 13 ou 14 ans. Ils constituent aujourd’hui dans le même temps une
milice morale et une soupape de sécurité pour la jeunesse issue des
couches populaires qui y trouve un emploi rémunéré. Les Bassidji
obéissent totalement à Ali Khamenei. Ahmadinejad y a été formé.
(18) Jimmy Carter (né en 1924) fut président démocrate des Etats-Unis de 1977 à 1981.
(19) Les fedayins du peuple (Organisation des guerilleros fedayins du
peuple iranien, qui prit plus tard le nom de « Fedayins du peuple
d’Iran ») sont une organisation marxiste-léniniste créée en
1971(première action de guerilla en février) à partir de groupes de
jeunes intellectuels prônant dès le milieu des années 1960 la lutte
armée « pour mobiliser les masses ».
(20) Paru dans le n° 85 de Wildcat.
(21) Mir Hossein Moussavi, ancien Premier ministre pendant la guerre
Iran-Irak (1980-1988), est un des candidats malheureux à l’élection
présidentielle du mois de juin 2009.
(22) Hossein Ali Montazeri (1922-2009) fut un idéologue de la
révolution islamiste aux côtés de Khomeini. Il prend, après 1979, des
positions qui déplaisent au nouveau pouvoir, par exemple contre la
guerre Irak-Iran (1980-1988) ou bien encore contre la répression des
opposants politiques. A la mort de Khomeini, en 1989, il est écarté au
profit d’Ali Khamenei. Il deviendra de plus en plus critique du régime
islamiste et en juin 2009 prendra position contre la réélection
d’Ahmadinejad. Ses obsèques ont donné lieu à de vastes rassemblements
violemment réprimés par les forces de l’ordre.
(23) Asef Bayat est actuellement professeur de sociologie et d’études
du Moyen-Orient à l’université de Leyde aux Pays-Bas. Il est l’auteur
de nombreux écrits sur la politique, les mouvements sociaux et
religieux, etc. dans le Moyen-Orient contemporain. Wildcat avait recommandé la lecture de Making Islam Democratic : Social Movements and the Post-Islamist Turn, Stanford University Press, 2007, dans son numéro 85 (automne 2009), p. 24.
(24) En 2009, l’Achoura est tombé le 27 décembre et a donné lieu à des manifestations dans plusieurs villes d’Iran.