PARIS-(AFP) Les proches des militantes kurdes assassinées à Paris en
2013 ont demandé à la justice des mandats d'arrêt contre quatre
responsables turcs qu'ils soupçonnent d'avoir commandité ce crime, a
indiqué vendredi à l'AFP une source proche du dossier.
Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez avaient été
tuées de plusieurs balles dans la tête, en plein jour le 9 janvier 2013,
dans les locaux du Centre d'information du Kurdistan (CIK), dans le Xe
arrondissement, un crime qui avait bouleversé la communauté kurde.
Arrêté quelques jours plus tard, le Turc Ömer Güney avait
été mis en examen pour assassinat. Si diverses pistes avaient
initialement été évoquées quant aux commanditaires, l'implication des
services secrets turcs (MIT) -ou d'une de ses branches- ne fait
aujourd'hui aucun doute pour les proches des victimes.
Ils ont donc demandé ces derniers jours à la juge
d'instruction Jeanne Duyé, qui conduit l'enquête, de délivrer des
mandats d'arrêt à diffusion internationale contre quatre Turcs
susceptibles d'être mis en cause pour complicité d'assassinat, a précisé
la source proche du dossier.
Ces quatre personnes -O. Yüret, U.K. Ayik, S. Asal et H.
Özcan- apparaissaient comme les signataires d'un document confidentiel
publié le 14 janvier 2014 par la presse turque. Elle le présentait comme
une note du MIT de novembre 2012 rédigée comme un "ordre de mission"
pour Ömer Güney.
En février, l'hebdomadaire allemand Der Spiegel rapportait
que ces quatre noms étaient bien ceux de membres des services turcs
travaillant sur la question kurde et évoquait des sources au sein des
services de sécurité allemands concluant à l'authenticité du document.
Sa publication était intervenue peu après la diffusion de
l'enregistrement d'une conversation antérieure aux assassinats entre un
homme, qui pourrait être Ömer Güney, et deux agents turcs.
Ömer Güney, qui nie les accusations dont il est l'objet, a
réfuté devant la juge être un des hommes parlant sur cette bande. Selon
une source proche de l'enquête, l'expertise scientifique n'a pas permis
d'authentifier sa voix avec une certitude absolue. Mais des personnes le
connaissant, interrogées par l'AFP, se sont dites convaincues qu'il
s'agissait de sa voix.
- "Aller jusqu'au bout" -
Sakine Cansiz était une figure du Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK), considérée comme proche de son chef historique Abdullah
Öcalan. Fidan Dogan, elle, était une militante kurde très connue au
sein de la classe politique européenne.
"Dans les assassinats politiques, on sait toujours quel peut
être l'Etat commanditaire, mais on n'a jamais de preuve précise. Or
ici, on a la chance d'en avoir", a déclaré à l'AFP Antoine Comte, un
avocat des proches des victimes.
"Il faut aller jusqu'au bout et mettre en cause les
commanditaires dont les noms apparaissent dans +l'ordre de mission+",
a-t-il ajouté.
Le MIT a déjà démenti toute implication dans ce crime. Dans
un discours préélectoral en mars, le Premier ministre turc Recep Tayyip
Erdogan l'avait attribué au mouvement de Fethullah Gülen -son ex-allié
devenu son ennemi- qu'il soupçonne d'avoir infiltré les organes de
sécurité turcs.
Dans leur demande d'acte, à laquelle la juge est tenue de
répondre sous un mois, les familles lui enjoignent à nouveau
d'interroger les renseignements français sur ce qu'ils pouvaient savoir
d'Ömer Güney, selon la source proche du dossier. La magistrate avait
rejeté en septembre 2013 une requête similaire.
Elles s'interrogent notamment sur un mail adressé à la
préfecture de police de Paris le 20 janvier 2013, deux jours après le
placement en garde à vue du suspect.
Ce courriel anonyme dénonçant Ömer Güney contenait des
éléments extrêmement précis -tel le voyage en Turquie du suspect en
décembre 2012- qui se sont plus tard avérés exacts selon cette source,
qui indique que ce message a été adressé d'un ordinateur dont le
fournisseur d'accès se trouve à Téhéran.
Le Parlement turc a voté début juillet un projet de loi
destiné à relancer le processus de paix entamé fin 2012 avec les
rebelles kurdes en Turquie et actuellement au point mort. Le conflit
kurde en Turquie a fait plus de 45.000 morts depuis 1984.